09 / 2009
Saran Daraba Kaba
Pharmacienne de formation, ancienne ministre des Affaires sociales et de la promotion féminine et de l’enfance en Guinée, Saran Daraba Kaba est la fondatrice du Réseau des femmes de la Mano River Union pour la paix (REFMAP), une des plus importantes structures de la société civile ouest-africaine. Elle promeut la résolution des conflits dans la sous-région et l’émancipation des femmes en Afrique. En 2003, la REFMAP a obtenu le prix des droits de l’Homme de l’ONU. Rencontre à Conakry.
« Je suis de ceux qui, depuis longtemps, ne se contentent plus de relever que les politiques se trompent. »
Saran Daraba Kaba fait partie de ces militantes africaines au long parcours, déterminées à avancer et à « faire autre chose que jeter l’opprobre sur les politiques ». À 64 ans, elle est plus que jamais sur le devant de la scène ouest-africaine - sur le front de la résolution des conflits dans la sous-région - et sur le front guinéen, en tant que vice-présidente du Conseil national des organisations de la société civile guinéenne. Vingt ans à travailler, comme « catalyseur du changement » de la société civile. Vingt ans de militantisme, pour arriver, entre autres, à cette conclusion : « Il n’y a de permanent que le changement. »
Une phrase particulièrement adaptée à l’actualité de son pays, où une junte militaire, le Conseil national pour la Démocratie et le Développement (CNDD), a pris le pouvoir à la mort du président général Lansana Conté, en décembre 2008, afin d’assurer la « transition » pour des élections « libres et démocratiques ». En 1984, à la mort d’Ahmed Sékou Touré, chantre de l’indépendance de la Guinée, c’est cette même flamme de la « transition » qui avait animé le futur président, le général Conté, chef du Comité militaire de redressement national (CMRN), qui devait se contenter de rester un an ou deux… Au point de se présenter aux élections et de rester… 24 ans au pouvoir.
À la tête de la REFMAP
Logique, donc, qu’elle fonde avec ses « sœurs » sierra-léonaises et libériennes une des organisations les plus efficaces dans la sous-région, en 2000. Sous les auspices de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), de la CÉDÉAO et de l’Organisation des nations-unies (ONU), elle crée le Réseau des femmes du Fleuve Mano pour la Paix (REFMAP), une ONG multinationale qui s’est attachée à traiter les destructions massives d’infrastructures, les mouvements de population, les victimes par centaines de milliers des conflits en Sierra Leone et au Liberia. Elle agit essentiellement sur quatre pays traversés par le fleuve Mano : Côte d’Ivoire, Liberia, Guinée, Sierra Leone et rassemble aujourd’hui une myriade d’associations (70), réparties dans 33 préfectures. Ses résultats probants lui ont valu de recevoir le Prix des droits de l’Homme de l’ONU en 2003.
« Les conflits sont vieux comme l’humanité, inhérents à la vie en communauté. Mais ils deviennent dangereux quand ils amènent la radicalisation des positions, chacun se disant : « j’ai raison »… »
Hadja Kaba a suivi une formation à la résolution des conflits à l’université du Cap - une « démarche scientifique qui donne des armes pour analyser les moteurs des conflits » -, puis une autre formation, en 2001, au sein du Nairobi Peace Initiative (NPI). « Ceux qui allument le feu et constituent le fagot de bois ne sont pas souvent ceux qui sont en première ligne. Dans le cas de la Sierra Leone, on a découvert que les principaux acteurs n’étaient pas assis autour de la table des négociations mais signaient des accords de paix. Quelques semaines après, ils étaient violés… »
Saran Kaba est particulièrement proche d’Aminata Traoré. L’ancienne ministre de la culture du Mali, égérie des milieux « anti » puis « altermondialistes », auteure du Viol de l’imaginaire (Fayard, 2002) est sa « sœur », dit-elle. La verve « alter » en moins. Aminata dit de son amie qu’elle « ne dénonce pas assez », que la vice-présidente du Conseil national des organisations de la société civile guinéenne (en charge des questions politiques) est « trop conformiste » : « Elle me demande toujours de m’engager davantage sur le terrain altermondialiste, de mettre la main sur la plaie de ces gens-là, les politiques. » Mais « Hadja », comme on l’appelle en Guinée, du fait de ses trois pèlerinages à La Mecque, en 1997, 1999 et en 2000, préfère souffler cette phrase prononcée par ses parents, à l’aube de leur mort : « L’eau chaude et l’eau froide tuent les puces de la même manière. Si l’eau froide tue les puces aussi bien que l’eau chaude, pourquoi perdre de l’énergie à faire chauffer de l’eau ? »
« Pas de chèque en blanc ! »
La veille, c’est pourtant de l’eau bouillante qu’elle a transmise au groupe d’associations réunies pour le séminaire « I-jumelage », où une trentaine d’associations marocaines, guinéennes, maliennes ou sénégalaises étaient réunies sous les bannières des Français de VECAM et des Guinéens des Amis du futur, afin de créer un réseau panafricain d’associations œuvrant dans le domaine des nouvelles technologies, de l’éducation ou encore du droit des femmes. « Si vous n’êtes pas déterminés à vous battre pour arracher cette équité, ça ne sert à rien de vous battre, vous n’irez nulle part ! Notre génération ne vous donnera pas de chèque en blanc ! De grâce, que votre initiative ne soit pas un feu de paille ! », dit-elle à une assemblée visiblement captivée.
Applaudissements nourris, émotion palpable dans la salle. « Si la Chine réussit aujourd’hui, c’est qu’elle a calqué sa vision sur la réalité du terrain, au point qu’aujourd’hui, tout le monde fait la cour à la Chine. Mais nous, qu’avons nous fait ? Regardez sur vous, qu’est ce qu’on porte sur nous et qui est fabriqué par nos artisans dans cette salle ? - Les bijoux, répond une directrice d’ONG du Mali. - Bon il n’y en a pas beaucoup, rebondit Hadja Kaba. Tout le reste vient d’ailleurs : le basin vient d’Allemagne, de Hollande, la wax vient des usines d’Angleterre… Les tissus sont importés d’Europe, de Chine. Nous enrichissons l’Occident tous les jours. Combien vont chez les tisserands pour commander deux ou trois boubous dans l’année ? - Il n’y en a plus, réagissent plusieurs associatifs. - Voilà, on a une économie complètement extravertie. Il faut aujourd’hui se servir d’Internet pour avancer plus vite que nous. C’est la plus grande bibliothèque virtuelle au monde. Sur Internet, vous trouvez tout ce qu’il faut pour vivre. Tout ! »
Dans le « petit lait » du Rassemblement Démocratique Africain
Hadja Kaba est née à la fin de la guerre mondiale, en 1945, d’un père militaire et d’une « femme à douze bras » : « En plus d’élever ses enfants et de tenir sa famille, ce qui est déjà tout un programme, elle faisait de la teinture, du savon, du petit commerce, elle voyageait beaucoup sur le train Conakry-Niger… pour le commerce. » Ses parents étaient des militants de la première heure du Rassemblement démocratique africain (RDA, ancêtre du Parti Démocratique de Guinée, de Sékou Touré). « Je suis née dans une famille où l’on faisait de la politique. J’ai bu ça dans le lait, mais j’ai surtout retenu l’image de parents très au service des autres. Ils n’hésitaient pas à nous priver de nourriture pour le donner à des mendiants, des handicapés, des personnes âgées. Je me rappelle qu’après avoir préparé le repas, elle me donnait toujours un petit bol fermé en me disant : « Va le donner à untel, mais ne dis pas que c’est moi qui le donne. »… »
Elle fait ses premières armes politiques en tant que membre du conseil des élèves, dans son école de Dubreka (Basse-Guinée), à l’heure où la Guinée vivait ses premières heures d’État indépendant, préférant « la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage », selon les mots utilisés par Sékou Touré contre de Gaulle, en 1958. De ces années historiques, elle retiendra notamment « l’expérimentation pédagogique faite sur les élèves cobayes de Guinée » : « Ce sont les progressistes de par le monde, qui ont accouru au chevet de la jeune Guinée, qui fondent le socle de mon identité politique. Quand je suis entrée au collège, en 1958, l’année où la Guinée venait de prendre son indépendance, la France venait de retirer tous ses enseignants. Les progressistes de par le monde ont accouru au chevet de la Guinée, je suis le produit de cette équipe d’enseignants du monde. L’ancien Premier ministre de Guinée Équatoriale était mon professeur d’espagnol. Les Lecors, venus de Bretagne, étaient mes professeurs de français… » Comme beaucoup d’hommes politiques de par le monde, elle a d’abord été… délégué de classe, au lycée classique de Conakry, avant d’aller étudier la pharmacie de 1966 à 1970 à Leipzig, puis à Halle (Allemagne), jusqu’à ce que sa bourse soit « coupée ». Dans les universités d’Allemagne aussi, elle sera déléguée de classe et représentante des étudiants…
De « Pharmaguinée » aux ministères
De retour en Guinée, en 1970, elle enseignera la pharmacie pendant deux ans avant d’intégrer Pharmaguinée, la « grosse boîte » d’État de l’époque. Jeune pharmacienne, elle en gravira « tous les échelons », avant d’être nommée directrice chargée de l’import-export. C’est cette fonction qui lui vaudra d’entrer de plain pied dans le monde politique au poste de Directrice nationale adjointe des exportations au Ministère du commerce extérieur. « On m’a demandé à l’époque de définir une politique de diversification des exportations de la Guinée, pour que le budget de l’État soit moins dépendant de la bauxite. On a commencé à promouvoir des produits comme le Chlorydrate de Kini ou le venin de serpent, qui sera utilisé par l’institut Pasteur en France ; ou encore les jus, les fruits tels que la Mangue, dont la Guinée a 72 variétés. »
En 1996, son « savoir-faire dans le secteur privé à but non-lucratif » la « propulse » ministre des affaires sociales et de la promotion de la femme et de l’enfance. De ce passage, elle retiendra essentiellement la « définition des politiques nationales du gouvernement dans ces domaines. On a formé une politique nationale de la promotion de la femme, de la protection de l’enfance et pour l’action sociale… Ce qui reste actuellement, ce sont les équipements : les motos, les 4x4… Mais un département ministériel, c’est d’abord une politique, une vision. Elles ont été adoptées par le gouvernement. Dans le domaine de la femme, on a mis en place le plan quinquennal « Programme-cadre genre et développement » pour renforcer le leadership féminin et leurs connaissances juridiques. »
Déjà, à cette époque, l’axe de travail de Saran Daraba est très clair : faire en sorte que les femmes soient les « leaders » de l’Afrique sur plusieurs plans : indépendance économique, reconnaissance juridique et résolution de conflits. Elle a publié récemment sur Internet un répertoire de compétences et expertises féminines de Guinée de « 1000 et quelque CV » de femmes compétentes et expertes du pays (1), pour qu’« aucun gouvernement n’ose nous demander où sont les femmes qu’il faut nommer. On a nommé assez d’hommes incompétents dans ce pays. On va d’abord nommer des femmes incompétentes, et ensuite, des femmes compétentes, je le souhaite ! »
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