dimanche 12 février 2012

Elisabeth Domitien...Première femme africaine nommée chef de gouvernement


Dans son n° 2096, Jeune Afrique/L'intelligent, présente Mame Madior Boye, Premier ministre sénégalais, comme la troisième femme nomméechef de gouvernement en Afrique. Elle est en fait la quatrième. La première Premier ministre africaine - et quatrième au monde - est quasiment tombée dans l'oubli. Nommée en 1974 par Jean Bedel Bokassa, deux ans avant que celui-ci ne s'autoproclame empereur de la République centrafricaine, Elizabeth Domitien n'était pas considérée par certains comme un « vrai » Premier ministre. Il est vrai que le dictateur de sinistre mémoire avait pris le pouvoir par les armes et pratiquait une politique caractérisée par des décisions imprévisibles et un emploi arbitraire de la force. S'il a bâti des routes et des institutions, il a aussi dilapidé les deniers de l’Etat et terrorisé ses concitoyens. Mais selon les informations que j’ai pu obtenir, Elizabeth Domitien n’était pas un laquais servile.

Quand elle est devenue chef de gouvernement, elle avait derrière elle une carrière politique de vingt-cinq ans et jouissait d'une réelle considération. Née en 1925 à Bangui, Elizabeth Domitien voulait aller à l'école, mais les religieuses de l'époque coloniale ne dispensaient qu'une alphabétisation élémentaire aux jeunes filles, préférant leur apprendre la couture. Elle n'a donc jamais maîtrisé la lecture et l'écriture du français. Mais elle a appris le calcul et s'est engagée dans les plantations de café et le commerce de produits agricoles et de tissus. Entreprenante et travailleuse, dotée d'une forte personnalité, elle regroupa autour d'elle bon nombre de femmes.Dans les années cinquante, Elizabeth Domitien rejoignit le mouvement pour l'indépendance. Ses discours enflammés en sangho mobilisèrent la population derrière le Mouvement pour l'évolution sociale de l'Afrique noire, le Mesan. Après l'indépendance, le Mesan devint le Mouvement national de la République centrafricaine, le parti unique.

Associée aux dirigeants, madame Domitien collabora étroitement avec les présidents Barthélemy Boganda, David Dacko et, après le coup d'État de 1966, Bokassa.Son action contribua à développer le sentiment national chez les Centrafricains, mais sa loyauté envers Bokassa lui valut bien des critiques. Selon Domitien, la populatIon devait suivre son chef. En retour, celui-ci devait respecter ses concitoyens, défendre leurs intérêts. Elle ne manqua pas d'exprimer clairement sa désapprobation lorsque la politique menée allait a l'encontre des attentes de la population.Bokassa innova en nommant Elizabeth Domitien Premier ministre en juin 1974.

Peut-être avait-il besoin de la force populaire unificatrice qu'elle représentait. Mais il a aussi promu d'autres femmes. Parmi les trente-cinq membres du gouvernement de Mme Domitien, il yen avait cinq, situation suffisamment rare à l'époque pour être signalée. Il souhaitait que la République centrafricaine devienne un pays pionnier, jouissant d'une bonne réputation à l'étranger, au moment où le Mexique s'apprêtait à accueillir la première conférence internationale de l'ONU pour les femme Elizabeth Domitien fut Premier ministre pendant deux ans. Elle se distingua par son action en faveur de l'agriculture, du commerce et de la promotion de la femme. Elle était appréciée pour son honnêteté et sa droiture.« Bokassa me respectait parce que je disais la vérité », souligne-t-elle.

Ses interventions ont permis à de nombreuses personnes arrêtées arbitrairement de recouvrer la liberté. Quand Bokassa voulut se faire couronner empereur, elle lui exprima son désaccord. Il n'en tint pas compte et la destitua en août 1976. C'est une femme triste et amère que j'ai rencontrée à Bangui au mois de décembre 1999. Sa seule fille, son mari, tous ses frères et sœurs sont décédés. Elle vit avec trois neveux dans un quartier populaire de Bangui. Les photos accrochées aux murs témoignent d'une vie mouvementée et ponctuée de voyages: Égypte, États-Unis, Israël, France, Luxembourg, Suisse, Russie, Roumanie, rencontres avec des chefs d'État, ordres et décorations. Mais elle se sent méconnue et oubliée, et vit modestement. « Si je n'avais pas eu ma plantation, je ne sais pas comment j'aurais pu m'en tirer », m'a-t-elle confié.A la chute de Bokassa, en 1979, Elizabeth Domitien fut jetée en prison.

Elle y restera deux ans. Sa qualité d'ancien Premier ministre ne lui vaut ni retraite ni privilège. Marquée par l'âge, elle n'en conserve pas moins un regard lucide et une voix pleine d'autorité. Après l'arrivée au pouvoir d'Ange-Félix Patassé en 1993, Elizabeth Domitien a été sollicitée à plusieurs reprises pour reprendre une activité politique, mais elle a refusé. « Il y a trop de rumeurs malsaines. Je préfère ne pas m'engager.»

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