La chanteuse, retrouvée morte samedi, était un chouïa ringarde mais elle symbolisait à la perfection l'histoire américaine de la «culture de l'émotion».
- Aux American Music Awards 2009. REUTERS/Mario Anzuoni -
Whitney Houston, morte samedi à l'âge de 48 ans, a déjà atteint le statut de diva tragique dans les panégyriques qui lui sont consacrés. Nous devrions pourtant nous en souvenir comme d’une athlète. A son apogée, dans les années 1980 et au début des années 1990, Whitney Houston était la force physique la plus formidable jamais produite par la musique populaire américaine.
C’était une chanteuse scandaleusement talentueuse. Sa voix était lumineuse, audacieuse, vibrante, pleine de brillance pop et de saveurs de gospel. Elle était aussi d’une grande agilité: Houston sautait d’une octave à l’autre, à toute vitesse, avec la grâce d’une coureuse de haies olympique. Et elle chantait fort, très fort: quand une chanson de Whitney passait sur votre autoradio, vous auriez cru que quelqu’un de la station de radio avait bloqué le volume au maximum.
La reine de l'adult contemporary
Elle savait chanter des chansons pop: How Will I Know et I Wanna Dance With Somebody appartiennent à la compilation idéale des meilleurs tubes bubblegum des années 1980. Mais là où elle était la meilleure, là où, sans erreur possible, elle était complètement Whitney, c’était dans les ballades faciles à écouter qu’elle emmenait jusqu’à des hauteurs qui n’avaient rien, elles, de facile —des sommets de volume et d’intensité, et plus loin encore.
Il y avait toujours un nouveau crescendo, prêt à vous exploser les oreilles, tapi quelque part, au détour du deuxième refrain. Houston était la reine de l’adult contemporary —mais son côté adulte ne la rendait pas si contemporaine que ça. Elle était désuète, un chouïa ringarde; votre grand-mère l’adorait. Elle chantait des émotions adultes et n’avait aucun penchant pour l’attitude ou les rythmes du hip hop.
Elle a passé le début des années 1990 à rivaliser en permanence avec Mariah Carey pour la première place dans les hit-parades, mais la maîtrise du hip hop de Carey lui assura la victoire au final, alors même que Whitney la surpassait de loin. Mais elle rendait l’air du temps d’autres manières. Son message était celui de l’estime de soi: elle faisait un opéra d’Oprah [présentatrice américaine championne de la défense des minorités, NDT].
Une diva qui ne chantait pas juste pour elle
Un historien qui voudrait comprendre la culture américaine de l’émotion de la fin du XXe siècle peut commencer et finir sa recherche par Whitney Houston: «Learning to love yourself / Is the greatest love of all» [«Apprendre à s’aimer soi-même/C’est le plus grand amour de tous»]. L’estime de soi était pour elle indissociable des égards que l’on se doit à soi-même —c’était une diva, après tout. Mais elle ne chantait pas juste pour elle.
On lui reprochait de ne pas être assez sûre d’elle, d’être trop «blanche», mais une église noire résonnait dans chacune des notes de ses albums. Si les femmes afro-américaines étaient ses fans les plus loyales, il y avait une bonne raison: lorsqu’elle déchaînait ses redoutables mélismes, chantait la lutte et la résilience, exigeait, face à l’indifférence, qu’on lui donne de l’amour et qu’on la traite avec justice, il fallait être idiot pour ne pas voir le côté politique.
On peut l’entendre dans le houleux refrain final de l’une de ses plus belles ballades, I Have Nothing. «Don’t walk away from me! [«Ne me quitte pas»], ordonne-t-elle dans un grondement gospel sauvage. C’est un son qui lui survivra, à elle et à nous tous.
Jody Rosen
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