L'Afrique, la région la plus touchée par les mutilations génitales, veut faire de la lutte contre ces pratiques une grande cause mondiale.
Réunion de femmes luttant contre l'excision. Sénégal, septembre 2007 © REUTERS/Finbarr O'Reilly
l'auteur Camille Biet
«C’est atroce, c’est douloureux, et à côté de cette douleur physique il y a la douleur psychologique». La députée ivoirienne Bamba Massani sait de quoi elle parle puisqu’elle a elle-même été victime de cette pratique. La mutilation génitale féminine (MGF) est une pratique culturelle appliquée dans de nombreux pays africains ou non. Une pratique culturelle considérée comme néfaste, mais une pratique culturelle tout de même. Les lois se multiplient pour mettre fin à cette pratique. Mais le droit peut-il faire changer les traditions?
Cette coutume fait 3 millions de victimes chaque année. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime que 100 à 140 millions de femmes ont subi l’impact de cette tradition. Une pratique culturelle que l’on réduit trop souvent à la circoncision et qui prend pourtant différents aspects plus douloureux les uns que les autres. Les résultats physiques et psychologiques sont irréversibles. Les dangers encourus vont de l’infection à la mort en passant par la transmission du VIH et la stérilité.
La circoncision, il est vrai, est la pratique la plus employée. 80% des cas selon les études. Mais certaines régions, certaines ethnies, pratiquent d’autres types de mutilations pouvant aller jusqu'à l’ablation totale des parties génitales, recousues de manière partielle pour empêcher toute pratique sexuelle.
L’Afrique en tête de la bataille
L’Afrique est la plus touchée par les mutilations génitales féminines. Mais elle est aussi la plus active dans la lutte contre ces pratiques. Les chefs d’Etat africains se sont de nouveau engagés pour la fin des MGF lors du 17e sommet de l’Union africaine à Malabo, en Guinée équatoriale, du 23 juin au 1er juillet 2011. Le Burkina Faso et l’Egypte ont proposé un texte qui a été adopté et qui donne le soutien de l’Union africaine à un projet de résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, visant à interdire la pratique au niveau mondial. La campagne pour cette résolution est menée depuis un an par une coalition d’ONG. L’objectif est de faire voter le texte à la prochaine session de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2011.
17 pays africains ont déjà voté des lois interdisant les mutilations génitales féminines, l’Union africaine aborde le sujet dans sa charte des droits de l’homme. Le protocole sur les droits des femmes en Afrique (PDF) exige en effet des gouvernements l’ayant ratifié, d’adopter toutes les mesures politiques et législatives nécessaires à l’élimination totale des MGF.
La vraie-fausse excuse des traditions
Amadou Hampâté Bâ disait:
«Il y a des pratiques que nos ancêtres eux-mêmes, s’ils revenaient à la vie, trouveraient caduques et dépassées».
Pour Khady Koita, sénégalaise fondatrice de l’association La Palabre qui lutte contre les MGF, cette remarque a tout son sens dans ce domaine:
«C’est vrai que ce sont nos traditions. Mais il nous faut faire un travail de changement de mentalités, un travail de changement de comportement, dans le respect mutuel de nos cultures. Il faut extraire ce qui est négatif et néfaste et garder ce qui est positif.»
Il existe donc des règles nationales et régionales qui condamnent la pratique. «Alors il ne reste plus que le niveau mondial», déclare le docteur Morissanda Kouyaté, directeur des opérations du Comité interafricain sur les pratiques traditionnelles. Atteindre ce niveau mondial est donc le souhait de cette coalition d’ONG qui a lancé la campagne Ban FGM* en septembre dernier. La campagne est soutenue notamment par les premières dames du Bénin, de Guinée-Bissau, d’Ouganda et du Burkina. Le prix Nobel de la paix, Desmond Tutu, fait aussi partie de ceux qui soutiennent la campagne.
Pourtant, si les Etats prennent des engagements, les communautés ont parfois du mal à changer leurs pratiques. Et c’est étonnamment les femmes ayant subi elles-mêmes ces mutilations qui les font subir ensuite à leurs filles.
Une résolution onusienne serait-elle donc réellement une avancée? C’est ce que croit Emma Bonino, membre du Parlement européen et femme politique italienne:
«Cette résolution célèbrerait le courage de celles et ceux qui ont osé braver les tabous et qui continuent à briser le mur du silence afin que la respectabilité de la femme ne puisse plus se baser sur une cicatrice douloureuse contraire à ses droits en tant que personne. L’impact d’une résolution ne réside pas dans le retentissement de ses échos au sein des augustes palais de verre de New York ou de Genève mais dans le changement qu’elle peut apporter à la vie de nombreuse femmes et filles.»
L'avantage d'un cadre légal
L’Ouganda a fait voter une loi cette année. Il y a quelques mois, cette loi a permis de condamner une exciseuse à 4 mois de prison.
«L’Ouganda fait campagne pour interdire ces horribles pratiques», assure le docteur Ruhakana Rugunda, ambassadeur ougandais à l’ONU. «Tous les efforts doivent être faits pour s'assurer qu’aucun être humain ne soit mutilé par qui que ce soit», insiste-t-il.
Les actions sur le terrain sont évidemment les plus efficaces. Il s’agit souvent de proposer de remplacer l’acte lui-même par une cérémonie, un rituel de passage à l’age adulte. Reste un autre élément, l’aspect économique de la pratique. Nombreux sont ceux qui gagnent leur vie en pratiquant les mutilations. Il faut donc non seulement changer les mentalités et légiférer sur la question mais aussi chercher d’autres activités économiques à ceux qui vivent des mutilations.
Camille Biet
*Les associations La palabre, No peace without justice, Euronet FGM et le comité inter-africain sur les pratiques traditionnelles ont formé une coalition pour réclamer une interdiction mondiale des mutilations génitales féminines. La coalition présentera sa pétition aux Etats.
Lu sur Slate Afrique
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