mardi 7 février 2012

Présentation du métier d’investisseur financier par Marlène Ngoyi (1)

Il y a quelques semaines Terangaweb a publié un article sur les « cinq femmes les plus influentes» du Private equity[1] . Cela m’a donné envie d’aller plus loin et d’interviewer une jeune femme, Marlène Ngoyi, Chargée d’investissement sénior chez Catalyst Fund, que j’ai eu la chance de rencontrer à mon arrivée au Kenya.

Ton parcours en quelques mots ?

Je suis originaire de République Démocratique du Congo et même si j’ai passé mon adolescence en Belgique je revenais 3 à 4 mois par an au Gabon ou dans mon pays natal où travaillaient mes parents. Après la Belgique je suis partie aux Etats-Unis. Je voulais apprendre l’anglais et le système éducatif américain très « concret », « pragmatique » m’attirait beaucoup. J’ai décidé de poursuivre des études en finances et en économie à Bentley College dans le Massachusetts. Pendant mes études, je me suis rendue au Guatemala où j’ai travaillé dans le secteur de la microfinance et en partenariat avec des coopératives de fermiers. Cette première expérience professionnelle dans un pays en développement m’a permis d’aborder des problématiques qui étaient proches de celles que j’ai retrouvées ensuite en Afrique : même types de challenges et d’opportunités, des économies en pleine croissance, des problèmes de sécurité, d’instabilité politique…

Apres 4 ans d’études, j’ai décidé d’aller explorer le monde du travail. J’ai commencé à la banque de New York en Belgique en tant que représentante clients puis chez BNP Paribas au Luxembourg en tant que support à l’équipe de management. Mon travail consistait en l’analyse financière (profitabilité) de chaque client et en diverses missions comptables. Ensuite j’ai rejoins la banque d’affaires de Merrill Lynch a New York et plus particulièrement la division Energy & Power où mon rôle était de lever des capitaux pour de grosses entreprises pétrolières et d’électricité (fortune 500). En banque d’affaire j’ai pu apprendre deux choses importantes : 1) comment les entreprises se capitalisaient, 2) comment mener des stratégies de croissance externe[2] à travers les fusions et acquisitions. Après Merrill Lynch, je suis allée à Chicago faire du Private Equity. Notre cible était les PME (avec un grand M) et notre outil principal le LBO[3]. Nous couvrions différents secteurs: industrie, services, distribution.

J’ai ensuite poursuivit un MBA à Harvard Business School dans l’objectif de revenir en Afrique avec de bonnes bases : notamment un bon réseau et plus de crédibilité. J’y ai passé deux ans. A la suite de cela, j’ai fait un stage d’été dans un grand fond de Private Equity : ECP[4]. A cette occasion je suis partie au Nigéria pour travailler sur un deal. Il s’agissait d’une entreprise de logistique qui m’a beaucoup appris sur l’économie africaine et les opportunités qui émergeaient (même si le deal n’a pas aboutit). Je suis finalement repartie en Afrique pour travailler pour Grassroot Business Fund[5] en tant que Porfolio Manager pour l’Afrique. J’ai pu suivre des deals dans différents pays: au Ghana dans le secteur de l’agribusiness, mais aussi dans plusieurs pays d’Afrique de l’est dans les secteurs des télécoms, de l’agroalimentaire, de la microfinance. J’ai également ouvert un bureau à Nairobi. La cible de ce fonds était les PME (avec un grand P cette fois). J’ai pu découvrir les challenges des petites entreprises africaines : les ressources humaines (comment trouver les bonnes personnes, qualifiées et pouvoir les rémunérer suffisamment pour les retenir), le contrôle financier (comment assurer une bonne gestion des cashflows) et l’accès au capital.

C’était intéressant de voir également comment les entreprises africaines se développaient en comparaison avec les entreprises américaines que j’avais connues. Aux Etats-Unis la tendance est plutôt à la spécialisation. On se concentre dans un business qu’on connait bien. En Afrique, la chaîne de production est moins bien structurée et les infrastructures moins développées. Il y a beaucoup d’intermédiaires qui ne sont pas toujours qualifiés. Les entreprises ont besoin d’être davantage autosuffisantes et d’offrir une solution complète en évitant trop de sous-traitance. En revanche les succès en Afrique peuvent être parfois plus rapides et plus « faciles » étant donné que la compétition est moins farouche. Il faut ajouter à cela que Grassroot Business Fund avait également pour but d’avoir un impact social positif. La question était donc de trouver le bon équilibre entre rentabilité et impact social (même si les deux notions peuvent parfois apparaître contradictoires). J’ai ensuite rejoins Catalyst en tant que Chargée d’investissement sénior. Catalyst est le plus gros fonds focalisé sur la région Afrique de l’Est. La zone couverte comprend : Kenya, Tanzanie, Ouganda, Rwanda, Zambie, Ethiopie, RDC. Toutes les personnes de l’équipe sont originaires de ces pays.

Qu’est-ce qui t’a donné envie d’aller travailler au Kenya / en Afrique de l’Est ? Dans le Private Equity ?

L’Afrique de l’Est est en pleine croissance. L’une des plus importantes au niveau mondial depuis près de 5 ans. La RDC est un des trois pays qui croit le plus rapidement. C’est aussi une zone où il y a déjà une très bonne base entrepreneuriale. On peut notamment noter la présence d’une communauté afro-asiatique très dynamique. Un autre point qui caractérise l’Afrique de l’Est : c’est une zone dont la croissance ne repose pas uniquement sur l’exploitation des ressources naturelles (comme le pétrole). Il y a une certaine indépendance de la région vis-à-vis du marché international. En revanche les échanges interrégionaux sont très importants. En termes de « soutenabilité » de la croissance, c’est un modèle qui me semble plus solide qu’ailleurs. On a reçu beaucoup de signaux positifs de la part des gouvernements des différents pays d’Afrique de l’Est qui vont dans ce sens. On peut notamment noter la volonté de créer un marché commun (peut être une monnaie commune ?). Enfin, d’un point de vue personnel, le Kenya est un pays très agréable et ça me permet également de retourner à la maison (en RDC) de temps en temps.

Est-ce que tu peux nous résumer rapidement en quoi consiste ton travail ?

Une solution financière mais surtout un partenariat

Notre travail se différencie vraiment de celui des banques. En plus d’apporter du capital, notre but est de devenir partenaire des entreprises dans lesquelles on investit. On veut apporter une vraie valeur ajoutée. Nous ne sommes pas de simples prêteurs d’argent. Les solutions bancaires sont souvent basées sur de gros besoins de collatéral. La logique d’un fond n’est pas du tout la même. Par rapport à une banque la solution de Catalyst est beaucoup plus flexible et basée sur du long terme. Catalyst investit comme l’entrepreneur dans l’entreprise et peut le faire sous de nombreux schémas en fonction des besoins de celle-ci. Il faut aussi ajouter à cela que Catalyst recherche des rendements (TRI[6]) importants ce qui pousse à garder un esprit dynamique et une rapidité dans la prise de décision qui permet d’entretenir l’esprit entrepreneurial.

Une valeur ajoutée

Il s’agit souvent en Afrique de l’Est de businesses familiaux et notre rôle est d’apporter à l’entreprise un renouveau avec un management professionnel dans tous les domaines à même d’aider la boite : finance, production, etc. Notre expertise financière est aussi au service des entreprises dans lesquelles nous investissons. En particulier lorsqu’il s’agit de réfléchir à la « capital structure » (trouver un bon ratio entre dette et equity) pour pouvoir financer au mieux les capex[7] ou les potentielles acquisitions.

Stratégie et conseil d’administration

Nous sommes également très actifs au niveau du conseil d’administration. Notre but est d’amener une réflexion qui pourra aider les décisions stratégiques. Nous sommes souvent très ambitieux et voulons voir l’entreprise croître vite et significativement, c’est pourquoi il faut prendre ensemble ces décisions et regarder tous dans la même direction (ex : devenir une entreprise régionale, élargir la gamme de produits, etc).

Travailler sur la sortie
Nous investissons sur une période de 5 ans généralement. Il est très important de penser très tôt à la sortie : Offre publique d’achat, vente à un acheteur stratégique, à un autre fonds, ou revente aux entrepreneurs ?
Vente à un acheteur stratégique
Il est intéressant de voir que le paysage des acheteurs stratégiques a tendance à se diversifier : avant ils venaient beaucoup d’Afrique du Sud maintenant les Chinois et les Indiens s’intéressent de plus en plus à des rachats d’entreprises africaines. Ils sont attirés par le rachat d’entreprises qui ont déjà fait leur chemin et qui se sont intégrer à un marché africain qu’ils connaissent mal (système de distribution et clients bien spécifiques).
Vente à un autre fond
On remarque également que l’industrie du private equity se développe. La fourchette des tickets proposés s’est agrandie et s’étale de 50 000 USD à 50 Millions USD permettant de plus en plus de rachats entre fonds. Un deal peut alors monter une sorte d’échelle au sein de l’industrie du Private Equity à mesure que l’entreprise croit, sa valeur augmente et les tickets d’achat aussi.
Offre publique d’achat
Du côté du Nairobi Stock Exchange il y a aussi des évolutions positives à attendre. Il y a encore de la place pour de nouvelles entreprises.

Propos recueillis par Léa Guillaumot

A paraître demain : présentation par Marlène Ngoyi du quotidien de la journée d'un investisseur financier


[1] Private Equity : la traduction française est « Capital Investissement » mais on utilise fréquemment l’expression anglaise. Il s’agit d’ « une activité financière consistant pour un investisseur à entrer au capital de sociétés qui ont besoin de capitaux propres » (wikipédia).

[2] Croissance externe : contraire de croissance organique. La société cherche à faire croître son activité / chiffre d’affaire à travers la fusion et l’acquisition d’autres entreprises.

[3] LBO : Leverage Buy Out. Il s’agit d’un mode de financement d’acquisition par emprunt. Ce mécanisme consiste en effet à racheter une entreprise en recours à de la dette pour engendre un effet de levier facilitant l’acquisition.



[4] ECP : Emerging Capital Partner, fond de private equity ayant levé près de 2 milliards de dollars pour investir sur le continent Africain.

[5] Grassroot Business Fund : voir plus d’informations sur le site http://www.gbfund.org/

[6] TRI : taux de rendement interne. Mesure la rentabilité d’un projet.

[7] Capex : abbréviation pour « Capital Expenditure ». Il s’agit de flux de trésorerie liés aux dépenses d’investissement de capital dont les immobilisations. L’immobilisation est un actif d’utilisation durable qui constitue le patrimoine d’une société.


Source: Terangaweb

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