Elles ont pour noms Christelle Nadia Fotso, Nacrita Lep Bibom, Mfoumou Régine, Marie-Gisèle Nkom, Sophie Françoise Libock Bapambe Yap, Careen Pilo, etc... Jamais, par le passé, l’on avait vu une telle floraison de nouvelles plumes dans le paysage littéraire camerounais. Camerounais mais surtout étrangers Comme un signe des temps, la Sopecam (Société de Presse et d'Editions du Cameroun), éditrice officielle de l’Etat camerounais, est dirigée par Marie Claire Nnana; quant à la seule véritable structure d’édition privée, Afredit, elle est également commandée par une femme: Simone Edzoa. Le Cameroun est un pays insuffisamment éclairé, avec des dramaturges et des comédiens qui ne vivent que l’instant des festivals, des écrivains camerounais qui ne sont pas vraiment camerounais, des éditeurs qui publient sporadiquement mais ne distribuent jamais que durant les cérémonies de dédicace, aucune salle de cinéma, aucun théâtre, aucun conservatoire, rien! Les centres culturels français sont les seuls lieux d’expression de la culture camerounaise, c’est d’un contradictoire! Calixthe Beyala écrit en langue française, est éditée par des Français, a été découverte par eux, ce sont encore eux qui achètent ses livres et les lisent, l’Académie française l’a honorée, de nombreux prix littéraires français l’ont distinguée, mais a-t-elle seulement un titre de gloire à l’échelle de notre pays, qui puisse faire penser qu’elle est camerounaise? Ce que l’on dit de Calixthe Beyala, on peut le dire de Léonora Miano, Gaston-Paul Effa, Christelle Nadia Fotso, Elisabeth Tchoungui, Gaston Kelman… Pourtant, ce sont nos principales références littéraires contemporaines. Si l’on parle de notre génie musical, on pense à Manu Dibango, Francis Bebey, Wes Madiko, Richard Bona, etc., une révélation par décennie! Des talents d’ailleurs, aucun génie! Et le problème reste entier: ils ne sont pas produits au Cameroun, enrichissent les pays qui les accueillent plus que ceux dont ils sont originaires. Le Cameroun se contente d’une espèce de fierté résiduelle: «ce sont des camerounais…»! Très souvent d’ailleurs, ils ne le sont plus puisqu’ils ont acquis la nationalité de leur pays d’accueil et la double nationalité n’est pas reconnue dans nos textes. Qui sont nos artistes? Dans les arts mineurs, ils sont quelques uns à se bousculer au portillon, et encore! Mais dans les arts plastiques, les beaux-arts, c’est le calme plat. Ou presque. Le Cameroun pourrait produire des écrivains de la trempe de Mongo Béti tous les dix ans au moins, des Calixthe Beyala chaque année, encore faudrait-il créer des structures susceptibles de détecter les talents et d’encourager la création. Quelle est notre intelligentsia? Non pas qu’il n’y ait pas au Cameroun des universitaires de renom, des professeurs brillants, mais ils sont mal connus de leur peuple et parfois méconnus de leurs propres confrères, la conflagration des egos et la politisation de toute reconnaissance asphyxie le génie de notre élite et intervertit les valeurs. C’est d’un pathétique! En attendant notre messie culturel Il nous faut de grandes universités qui attireront les plus grands chercheurs de l’Afrique, de grands éditeurs et un milieu culturel dynamique. Car actuellement, la production intellectuelle, telle qu’elle se traduit dans les arts, les lois(!), le langage politique et les publications, est débile (au sens de «sans force»). L’État camerounais doit faire vivre les artistes, en protégeant leurs droits; le laxisme actuel est inexcusable et injustifiable, nos gouvernements successifs ont les moyens de lutter efficacement contre la piraterie et la contrefaçon. Outre cela, il doit faire vivre les architectes, les peintres, les sculpteurs, les musiciens, les écrivains, par des commandes constantes et l’instauration d’un système de pensions pour les plus renommés au plan national. Le but étant de tuer le réflexe d’expatriation, d’éviter la prostitution et le système D (débrouillardise). Les amateurs d’art camerounais aujourd’hui vont satisfaire leur passion à Paris plutôt qu’à Foumban. Ce genre de paradoxes ne contribue pas à l’efflorescence d’une véritable littérature camerounaise. Les ministres et les hauts fonctionnaires doivent avoir une part active dans ce mouvement de réappropriation de notre propre culture, ils doivent créer des modes, susciter l’émulation chez les cadres de l’administration. Au fin fond des campagnes, que l’on sache, même si l’on ignore leur œuvre, qui sont les plus grands noms de notre culture. Dans les milieux mondains, chacun doit avoir des notions sur les chefs-d’œuvre du moment et sur les dernières publications. Même les plus incultes devront faire des allusions claires et flatteuses à l’auteur à la mode. Dans les cercles régis par nos savants, chaque politique devra être capable d’exprimer des platitudes d’un air convaincu et en phrases bien senties sur tel roman, tel article ou bien tel auteur d’avenir: tous, points de suprême importance. La culture, pilier de la nation Mongo Beti est un auteur classique, une de ses œuvres devra régulièrement figurer dans les programmes scolaires dans les cinquante années à venir. A défaut de débaptiser le lycée Joss et le lycée Leclerc, il faut ouvrir des établissements d’égale importance pour honorer Ferdinand Oyono et Francis Bebey, un peuple se construit-il autrement ? Ce ne sont pas avec des pierres et du béton qu’un État se construit, mais avec sa mémoire et sa culture. Une personnalité qui n’aurait pas dans son fonds documentaire au moins deux mille livres dont la moitié au bas mot serait d’auteurs camerounais et africains, une telle personnalité ne vaudrait rien. C’est en la pratiquant, fût-ce maladroitement, qu’un peuple fait vivre sa culture. Le mécénat des dignitaires du pays et des milieux d’affaires est incontournable dans ce mouvement de réhabilitation culturelle, la CRTV sera le bras séculier de cette révolution culturelle. Une CRTV pour le coup rajeunie, compétitive et attractive. Pour rester concret, une Académie camerounaise des arts et lettres doit être créée, le concept importe davantage que le nom de l’institution qui peut être remplacé. Cette société savante attribuerait chaque année des récompenses dans tous les domaines du savoir et de la création. Nos artistes doivent être honorés, nos cinéastes subventionnés, leur œuvre promue, leur image protégée. Aladji Touré, Manu Dibango, ou même le chanteur populaire Petit Pays, peuvent diriger un Conservatoire National des Arts, avec l’expertise de pointures internationales, nous ne citons les noms que pour souligner l’immensité du potentiel inexploité. De plus, une bibliothèque nationale doit être ouverte dans chaque chef-lieu de région, dans un premier temps. Ces bibliothèques feront la part belle aux œuvres négro-africaines, elles devront commander toute œuvre produite par les artistes ou les éditeurs «officiels». L’agrément lui-même devra être accordé sans formalités superfétatoires: le parrainage d’un artiste «officiel», un prix de l’académie devraient suffire à accéder au statut d’artiste de la nation. Les artistes devront participer au prestige de la nation, des musées et des librairies populaires devront être créées à côté de toutes les bibliothèques nationales. On verra à réfléchir à la facilitation de la diffusion et de la distribution des œuvres artistiques et de la presse. En l’absence d’initiative privée, l’État doit s’en occuper et casser les monopoles en matière de distribution. Nous n’avons rien contre la construction des routes, thème inoxydable des campagnes présidentielles camerounaises. Simplement, contrairement à ce que l’on nous a fait croire («là où la route passe, le développement suit»), il nous a été loisible de constater que, à Monatélé par exemple, le bitume est passé, le président Biya a suivi, mais le développement n’est jamais arrivé. Les écrivaines avec lesquelles il faudra compter A peine publiées, beaucoup sont oubliées. C’est qu’elles sont de deux sortes (ou peut-être trois): celles qui sont révélées par des éditeurs compétents; celles dont on s’étonne qu’elles soient publiées par des éditeurs mineurs. On pourrait ajouter celles dont on aurait pu sans regret se passer: «Tourbillon d’émotion» par exemple est un livre paresseux, d’ailleurs il reprend l’intitulé d’un best-seller pour enfants écrit par Janan Cain. Doit-on vraiment appeler livre un opuscule de 70 pages? L’Unesco pense que si. Mais n’est pas Hemingway, Beckett, Le Clézio qui veut: le talent des textes brefs ne s’improvise pas, tous ces auteurs ont su s’y exprimer de manière géniale. L’auteur de ce texte voulait publier pas écrire, c’est cela seul qui explique l’inopportunité de ce texte qui contient des incorrections de langage dont on ne sait pas si elles proviennent de l’auteur qui s’est trouvé trop long pour se relire ou de son éditeur, empressé de fabriquer un livre «commercial». Deux valeurs sûres Léonora Miano: Toute la jurisprudence critique des lecteurs camerounais a souvent consisté à faire coulisser le mérite à la toise du ramdam suscité par des prix. Elle en a reçu, mais ce n’est pas cela qui fait d’elle le chef de file de la nouvelle génération d’écrivaines camerounaises. C’est une volontaire de l’écriture, guère une surdouée ou un génie. La trace du vétérinaire sénégalais Birago Diop et d’autres grands poètes africains se ressent et de ses plus beaux passages. Madame Miano a une voix, reconnaissable entre toutes, où Calixthe Beyala n’avait qu’un style. Elle a un véritable univers d’écrivain. Quant aux lieux communs, aux clichés qui traverseraient son œuvre, ils sont constitutifs de toute littérature. L’écriture de Miano est expurgée de toute scorie et de fioritures rhétoriques, elle est exempte de tout cliché de langage, sa plume est pure, seule son intelligence affleure à chaque ligne. Christelle Nadia Fotso: Personnages, écriture, récit, il y a dans son premier roman «L’empreinte des choses brisées» la plasticité d’un talent littéraire unique. Elle inaugure dans la littérature camerounaise ce que l’on pourrait appeler la littérature intelligente, cultivée, abreuvée aux sources de l’Hippocrène. L’artiste musicienne camerounaise Koko Ateba en disait : «Je l’ai vue un jour à la télé. Elle parlait d’une façon telle que j’ai donné l’augure qu’elle serait une écrivaine». Elle l’était déjà. Christelle Nadia est une écrivaine dans l’âme, qui n’a pas attendu d’être publiée pour se considérer comme telle. En revanche, entre une première de couverture «cucul la praline» et une quatrième de couverture insuffisante, où l’éditeur fait une présentation approximative du livre, avec des formules hasardeuses, on espère que, comme Mabanckou qui avait été à l’Harmattan, elle saura prendre ses distances de cet éditeur qui a laissé quelques perles (coquilles), inacceptables dans un roman de cette qualité. Par ses choix esthétiques et les problématiques que posent son écriture, voici sans doute l’écrivaine camerounaise la plus entière, la plus folle, la plus authentiquement artiste. Eric Essono Tsimi |
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