Voici un roman qui révèle pour la première fois la faiblesse d’un prêtre devant l’amour d’une femme. Un étrange destin de l’héroïne qui ne cesse d’interpeller Dieu tout au long du récit sur certains problèmes qu’elle « comprend sans comprendre » la position de Dieu à propos.
Dieu, l’homme, la femme et le sexe, trois instances qui définissent l’histoire de la jeune Rama qui se passe dans une région du Congo. Amoureuse d’un jeune prêtre qui l’aime aussi avec passion, Rama refuse le fiancé que lui a été choisi par sa famille. Elle décide d’aller au couvent pour fuir ce mariage. Partagé entre son amour pour servir Dieu et celui qui la lie encore au jeune prêtre Paolo, elle se découvre immorale quand la Supérieure du couvent découvre dans sa chambre son carnet intime où elle se plaint devant Dieu qui, à travers la Bible, ne lui permet pas d’aimer Paolo. Chassée du couvent et après plusieurs mésaventures, elle se marie avec Mike, un ancien ami de jeunesse. Un mariage arrangé par la famille du garçon et qui sera un enfer pour l’héroïne. Mike, un mari désagréable qui lui apporte malheur à la place de l’amour. A la cinquantaine, elle retrouve son premier amour, le père Paolo avec qui elle fait un enfant au moment où elle ne s’y attend pas. Le prêtre est émerveillé de se reconnaître géniteur de l’enfant quand il est invité à l’anniversaire de Rama en compagnie de ses premiers enfants devenus grands. « Homme et femme Dieu les créa », un roman dense, riche où se dégagent plusieurs destins qui tournent autour du personnage central, Rama.
Rama, une femme entre souffrance et amour
Née dans une bonne famille, Rama semble destinée à une vie agréable dans la mesure où elle affronte l’école avec succès. Mais les frémissements de l’adolescence la poussent amoureusement vers un « homme de Dieu ». Et c’est à ce moment que va se dessiner son destin atypique qui ne sera géré que par l’Homme. Elle souffre d’avoir aimé un « homme de Dieu » qu’elle ne peut prendre comme mari. Elle souffre de son éventuel mariage forcé avec le fiancé choisi par la famille. Et pour éviter cette union, elle se fait religieuse, à la grande déception de son père qui la renie. Commencent alors d’autres souffrances dont elle ne cesse de demander le pourquoi à Dieu. Le couvent qui était un refuge pour retrouver son homme de Dieu, la sépare de celui-ci quand la Supérieure découvre son carnet intime. Elle est chassée du couvent à cause de ses lettres inacceptables qu’elle « adresse » à Dieu et à Paolo. Hébergé par la Grande-tante Mâ Kanda, parente de sa meilleure amie Lydie-Violette, elle trouve l’occasion de rencontrer Paolo avec qui elle revit un bonheur éphémère tout en concrétisant l’amour sexuel. Séparée de nouveau de « son » prêtre par l’Eglise qui a découvert leur complicité, elle retombe dans le désespoir qui va se transformer en supplice quand elle se marie avec Mike. Complexé devant une femme instruite, celui-ci se transforme en ivrogne et découche à tout moment. Après plusieurs maternités, Rama devient une épave et subit paradoxalement ce qu’elle craignait en ne voulant pas épouser le fiancé choisi par la famille. Après la mort la Grande-tante Mâ Kanda, révoltée, elle veut se libérer de son mari. Mais les enfants sont devenus grands et ont quitté le toit parental ; Rama est obligée de s’occuper de son mari dont la décrépitude et la mauvaise santé nécessitent sa présence. C’est après la mort de ce dernier et après s’être libérée traditionnellement de sa belle-famille qu’elle retrouve le bonheur quand elle rencontre de nouveau son prêtre à qui elle va donner un enfant. C’est avec l’homme de Dieu qu’elle vivra le bonheur sentimental et sexuel.
Dieu, le sexe et l’amour interdit
Rama apparaît comme une exception parmi les héroïnes du roman congolais. Elle brise le tabou religieux en entraînant un prêtre dans le péché de la chair. Aussi, elle ne s’empêche pas d’interpeller Dieu qui a créé l’homme et la femme pour peupler la terre : « En demandant à l’homme de remplir la terre, tu n’avais pas choisi une certaine catégorie d’hommes, et de femmes habilitées à le faire, tu t’étais adressé à l’Homme et à la Femme » (p.132). Paolo étant d’abord un homme avant de devenir prêtre, il ne pourra résister à la beauté de Rama et l’amour interdit. L’enfant qu’il fera avec Rama en sera une preuve. Et c’est au cours de l’anniversaire de celle-ci auquel il est invité que Paolo s’émerveille en se découvrant père du dernier enfant de Rama.
Le récit d’Abia : un roman des romans
Ce livre pourrait aussi être présenté comme une succession de récits que le lecteur découvre à travers le destin de l’héroïne. C’est d’abord sa rencontre avec une psychologue qui nous prépare à découvrir ses souffrances sentimentales qui vont constituer une grande partie de son destin. Et dans le récit principal de Rama, se découvrent d’autres parenthèses diégétiques importantes comme l’enfance de Paolo dont la réussite ne sera pas acceptée par un ami de son père. Accusé de sorcellerie à cause de l’échec social des autres enfants du village, le père de Paolo est obligé de quitter les lieux pour protéger sa petite famille. Il meurt quelques mois après l’ordination de son fils. Et c’est au cours de ses activités paroissiales que le jeune prêtre se fait séduire par Rama. Quand Paolo est nommé aumônier à la Maison d’arrêt de la place, nous découvrons les « histoires » des prisonniers Ngulu Nkila et Tuseho qui nous ouvrent une page de la société congolaise. Grâce à la parole de Dieu, ils vont s’amender. Ngulu Nkila s’est retrouvé en prison après un crime passionnel car ayant tué sa femme par jalousie. Quant à Tuseho, il redécouvre Dieu après avoir été livré à la Justice par un prêtre par le biais d’une confession. Dans le récit de Rama, se lisent certaines vies comme celle de Lydie-Violette qui est omniprésente aux côtés de l’héroïne et celle de la Grande-tante Mâ Kanda qui meurt en leur laissant un héritage qu’elles vont mettre au service du social.
Pédagogie et racisme dans « Homme et femme Dieu les créa » Derrière l’histoire de Rama, et particulièrement son amour pour son homme de Dieu, se cache une grande pédagogie sur la conception de l’Eglise catholique face à la femme et l’homme noir. Rama ne cesse d’interpeller Dieu dans ses lettres car elle ne comprend pas le célibat des prêtres par rapport aux pasteurs, rabbins et imams qui peuvent prendre femme : « Pourquoi un prêtre marié (…) oublierait-il d’aller dire une messe (…) alors qu’un pasteur, un rabbin ou un imam n’oublierait pas son engagement envers toi, tout en étant marié et père de famille ? » pp.138-139). Là, se dégage un problème qui se pose déjà au sein de l’Eglise catholique et que le Vatican semble ignorer. Et le texte de Marie-Louise Abia pourrait s’inscrire dans la documentation de réflexion sur l’autorisation du mariage des prêtres. Mais la grande interpellation de Dieu est explicitée dans la partie intitulée « Habemus Papam » où Rama dans un rêve se retrouve dans une église où se passe l’élection d’un pape. S’y dégage le racisme de l’église catholique à travers le personnage du pape noir Akpamé qui se voit rejeté par les Blancs de la communauté catholique : « Des personnes encagoulées, tout de noir vêtues, de la tête aux pieds, l’avaient brutalement porté à l’intérieur et une autre, camouflée dans un costume de bourreau, nous demanda d’un air intimidant : « Quelqu’un a-t-il vu quelque chose ? » (p.303). Et ce racisme est vraiment manifeste à travers le fameux discours du Roi des Belges prononcé en 1883 » sur les devoirs des prêtres et pasteurs blancs au Congo repris dans le roman (pp.84-86).
« Homme et femme Dieu les créa », un roman polyphonique qui révèle une multitude de problèmes socio-idéologiques qui définissent la société congolaise à travers plusieurs paramètres comme le mariage traditionnel et le complexe de l’homme devant la femme instruite. Un livre qui doit être lu et relu car traitant plusieurs sujets importants à la fois. Et la maîtrise du scriptural sur fond pédagogique que nous avions déjà découvert dans « Afrique : Alerte à la bombe » et « Bienvenus au royaume du sida » se révèle une fois de plus dans ce roman qui montre que l’auteure est plus qu’une romancière.
Noël KODIA (essayiste et critique littéraire)
L’auteure
Marie-Louise Abia est l’une des romancières congolaises les plus prolifiques avec trois ouvrages à son compte. On lui doit « Afrique : Alerte à la bombe » et « Bienvenus au royaume du sida ». Elle s’apprête à publier un autre roman intitulé « Libres et égaux ».
« Homme et femme Dieu les créa »,
Ed. J&P. Publishing,
février 2009,
Royaume Uni.
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