lundi 6 février 2012

Sécurité : l’urgence des réformes au féminin

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Former, recruter et juger : trois clés pour réduire la violence contre les femmes

Graduates of the police academy in Liberia.Des recrues de l’Académie de police au Libéria. Sous la présidence d’Ellen Johnson-Sirleaf, le pays a mis en œuvre une politique de quotas en vue de recruter plus de femmes dans l’armée et la police.
Photo: Photo ONU / Christopher Herwig

Les actes de violence (sexuelle notamment) commis contre les femmes ont marqué les conflits africains de ces dernières années, de la Sierra Leone au Libéria, en passant par le Burundi et la République démocratique du Congo (RDC). Même dans les pays qui ne sont pas en guerre, les femmes sont souvent victimes de viols et d’autres formes de persécution. Face à ces crimes, il est pourtant rare que la police et les procureurs se mobilisent. Plus grave encore, policiers et soldats sont parfois parmi les coupables.

Dans certains pays africains, des mesures ont été prises pour réformer le secteur de la sécurité et mieux protéger les femmes. Les progrès sont néanmoins limités, constate Ecoma Alaga, une spécialiste de ces questions basée à Accra (Ghana) et qui fut un temps directrice de l’ONG Women Peace and Security Network-Africa (WIPSEN-Africa). Souvent en Afrique, fait-elle remarquer, le secteur de la sécurité « n’est pas à la hauteur de ses responsabilités » en matière de protection des femmes.

S’il est faut réformer l’ensemble du secteur de la sécurité en Afrique, il est tout aussi important que ces réformes mettent davantage l’accent sur la protection des femmes, explique-t-elle. Pour cela, Mme Alaga affirme qu’une « double approche » est nécessaire. D’une part, ceux qui s’engagent dans ces réformes doivent mieux tenir compte de la question d’égalité des sexes et faire participer les femmes à toutes les phases de la réforme. D’autre part, les associations féminines doivent elles-mêmes cesser de considérer la sécurité comme « une affaire d’hommes ».

À l’instar du combat mené contre la violence faite aux femmes et aux filles, explique Letty Chiwara, chef de la Division Afrique d’ONU-Femmes, il faut, pour sensibiliser les forces de sécurité au problème, briser le silence qui entoure la violence contre les femmes. « Ce qui perpétue les violences les plus atroces commises contre les femmes, c’est le silence », note-t-elle.

Réformer les forces de sécurité ne sera pas facile, estime Adedeji Ebo, président de l’Équipe spéciale interinstitutions de l’ONU pour la réforme du secteur de la sécurité. Les armées et les forces de police africaines ont été constituées sous le régime colonial, « elles n’ont jamais été créées pour protéger les Africains », mais plutôt considérées comme un moyen de soutirer des impôts et de « maîtriser les autochtones ». Après l’indépendance, de nombreux gouvernements africains ont perpétué ou recréé des structures de sécurité identiques.

Alors que de plus en plus de pays africains cherchent à se reconstruire après des guerres ou à démocratiser des systèmes politiques répressifs, beaucoup tentent également de professionnaliser leur armée, leurs forces de police, leurs services de renseignement et leur système judiciaire. Le but est de placer les organes du secteur de la sécurité sous le contrôle de dirigeants élus et de les sensibiliser aux aspirations de la population.

Assainir les rangs

Dans les pays où l’armée commet souvent des exactions contre les civils, une des priorités consiste évidemment à chasser de ses rangs les auteurs de violences graves.

Après plus d’une décennie de guerre civile, le Libéria a commencé à se doter d’une nouvelle armée en 2006. Bien que les membres des anciennes forces armées régulières et ceux des groupes de rebelles démobilisés aient été autorisés à se porter candidat, les critères de sélection ont été rigoureux. Des comités d’enquête ont examiné les antécédents de chacun et écarté tous ceux qui avaient commis des violences. Leurs noms et photos ont été publiés localement. Le public a été invité à participer au processus. Au final, trois candidats sur quatre ont été écartés.

En République démocratique du Congo, l’accord de paix de 2002 a mené à la création d’une nouvelle armée. Mais le processus de sélection a été beaucoup moins rigoureux. Des unités entières issues de groupes armés ont souvent été incorporées aux nouvelles Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et seuls quelques-uns des officiers notoirement connus pour leurs exactions ont été exclus.

Malgré l’accord de paix, l’insécurité persiste dans les provinces de l’est du pays et de nombreuses femmes ont été brutalisées et violées. Les observateurs des Nations Unies et des organisations de défense des droits de l’homme imputent une grande partie des violences perpétrées aux membres d’anciens groupes rebelles. Mais ils rapportent aussi fréquemment des cas où des soldats des FARDC ont violé, pillé et tué.

Ces dernières années, des soldats et officiers des FARDC ont été jugés par des tribunaux militaires et reconnus coupables de viols et d’autres crimes. Pour la seule année 2010, 79 cas ont fait l’objet de jugement, dont un viol collectif commis au Sud-Kivu. Mais il reste beaucoup de chemin à parcourir avant que la totalité de l’armée congolaise ne respecte les droits des femmes et des autres citoyens.

A South African peacekeeper in Darfur, SudanUn soldat de la paix sud-africain au Darfour. Il faudrait recruter davantage de femmes parmi les officiers des forces de sécurité en Afrique.
Photo: Photo ONU / Albert Gonzalez Farran

Former et recruter

Il est important de former les soldats et les policiers pour changer leur mentalité et leur comportement. Des instructeurs de la Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo (RDC) et de l’Union européenne dispensent des cours sur les droits de l’homme et les problèmes liés au sexisme aux membres de l’armée et de la police congolaise. De même, au Burundi, au Libéria, en Sierra Leone et en Afrique du Sud, les droits de la femme et la violence sexiste font partie des thèmes traités dans les programmes de formation de la police et de l’armée.

Mais la formation, à elle seule, ne peut avoir que des effets limités. Pour modifier l’état d’esprit général des forces de sécurité et protéger concrètement les femmes, expliquent les défenseurs des droits de la femme, il faut également remanier les effectifs. Il a ainsi été recommandé lors de la conférence de Kigali tenue en octobre 2010 de « recruter et promouvoir plus de femmes à tous les échelons des organes de sécurité ».

Le Libéria — dirigé par la première femme présidente démocratiquement élue d’Afrique, Ellen Johnson-Sirleaf — fait des efforts remarqués pour changer la composition des forces de sécurité. Lorsque le recrutement pour la nouvelle armée nationale a débuté, la Présidente a annoncé que l’objectif était de constituer une armée composée de 20 % de femmes. Mais il s’est avéré difficile de trouver assez de femmes qui soient à la fois prêtes à s’engager et diplômées du secondaire. Pour l’heure, les femmes ne représentent encore que 7 % des effectifs.

Des progrès plus importants ont été faits dans la police libérienne. L’objectif était aussi d’avoir 20 % de femmes. Avec l’aide des instructrices de la mission de maintien de la paix des Nations Unies, les élèves policières de la première promotion entièrement féminine ont obtenu leur diplôme en 2009. En mai 2010, la proportion de femmes dans les forces de police avait atteint environ 16 %. Des progrès ont été réalisés grâce à un programme « d’enseignement intensif », qui a permis aux jeunes candidates n’ayant pas le niveau d’éducation secondaire requis d’obtenir leur diplôme dans une école polytechnique locale.

L’Afrique du Sud, qui recrute des femmes dans l’armée et dans la police depuis qu’elle a commencé la restructuration de ses forces de sécurité au milieu des années 1990, a récemment porté à 40 % le quota désiré de femmes dans ces deux institutions, afin d’accélérer le processus. À la suite d’un rapport sur « l’intégration des femmes », qui soulignait les carences au niveau du commandement dans l’armée, huit femmes ont été nommées général de brigade en 2007.

Si les conflits africains sont particulièrement dangereux pour les femmes, les mauvais traitements sont aussi monnaie courante dans les pays en paix. En RDC, on estime que 3 % de tous les viols et agressions sexuelles sont perpétrés par des membres de groupes armés. Pour lutter contre cette violence, la police et la justice doivent être plus efficaces.

Partout en Afrique, les femmes n’ont encore qu’un accès très limité à la justice. La faute à la faiblesse du système judiciaire, aux coûts des procédures judiciaires, à la corruption et à la méconnaissance de la loi par la plupart des victimes, des avocats et même dans certains cas des juges.

Au Rwanda et dans d’autres pays, les lois sur le viol et la violence sexuelle ont été renforcées ces dernières années. Le Libéria, la Sierra Leone et l’Afrique du Sud disposent d’unités spéciales de police chargées d’enquêter sur ces crimes. Le Libéria a mis en place un tribunal spécial pour juger les affaires de violence sexuelle. La Guinée-Bissau a introduit, pour les magistrats, des programmes de formation sur l’égalité des sexes.

De nouveaux centres d’aide juridique ont vu le jour dans la province congolaise du Nord-Kivu. « Chaque mois, nous enregistrons une trentaine de cas de viols », rapporte Eugène Buzake, avocat pour l’ONG Synergie pour l’assistance juridique (SAJ), « et nous orientons les victimes vers la justice ». L’organisation offre des conseils juridiques gratuits, organise la protection des témoins et les aide à se rendre aux comparutions.

Briser le silence

Comme le montre cet exemple, une plus grande participation de la société civile et des associations de femmes est essentielle. Elles peuvent faire pression sur les forces de sécurité pour pallier les carences et adopter des mesures plus vigoureuses. À la fin des années 1990 en Afrique du Sud, des associations féminines ont dénoncé le harcèlement sexuel des femmes par des membres de l’armée, ce qui a donné lieu à des réformes.

La violence contre les femmes est un problème de société plus vaste, qui ne peut être enrayé par les seuls organes de sécurité, remarque Anne Marie Goetz, conseillère pour les questions de gouvernance et de sécurité auprès d’ONU-Femmes. Cette violence est en grande partie commise au sein de la famille ou dans d’autres espaces privés. Elle est donc difficile à réprimer. En outre, dans nombre de sociétés, la « tolérance généralisée » vis à vis de ces sévices rend à son tour plus difficile la réforme des organes de sécurité.

La situation de subordination des femmes en général dans la société constitue un obstacle supplémentaire. En Sierra Leone, selon une étude de WIPSEN-Africa, des femmes qui possédaient toutes les qualifications requises pour rejoindre les rangs de la police ou de l’armée ont dû y renoncer sous la pression de leurs maris.

Une meilleure protection des femmes par les organes de sécurité doit aller de pair avec l’amélioration de leur statut social et politique, souligne Kristin Valasek, du Centre de Genève pour le contrôle démocratique des forces armées.

Il est essentiel d’agir à la base, explique Joséphine Pumbulu, de l’Association africaine de défense des droits de l’homme au Congo. Son organisation défend les droits de la femme dans les écoles, les églises, sur les marchés et dans d’autres lieux publics et pousse également le gouvernement, l’armée et la police à protéger les femmes de la violence. Elle encourage les Congolaises à « dénoncer les violeurs ».

Afin de permettre aux Congolaises et autres femmes africaines de le faire, conclut Mme Chiwara, d’ONU-Femmes, il est indispensable de créer « un espace sûr pour que les femmes et les communautés puissent s’exprimer librement. L’impunité se nourrit du silence, qu’il faut briser ! »    

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