Préjugés et obstacles sociaux entravent leurs avancées
Par Gumisai Mutume
Lorsque, enfant, Inonge Mbikusita-Lewanika est envoyée dans un pensionnat pour jeunes filles réputé en Zambie pour son excellence académique et sportive, elle prend une voie qui la mènera à une carrière de dirigeante. Contrairement à beaucoup d’autres filles de son âge, elle a tout le temps nécessaire pour se consacrer à ses études. Depuis, elle a été ambassadrice de son pays aux États-Unis; elle a été députée et est devenue en 2001 la première femme à briguer la présidence de la Zambie. Elle est actuellement l’ambassadrice de la Zambie auprès de la Belgique, des Pays-Bas et de l’Union européenne.
Mme Mbikusita-Lewanika a grandi entourée de parents sans cesse attentifs qui l’ont encouragée à réaliser ses rêves. « Mes parents ont créé un environnement propice à notre développement et nous ont envoyés, tant garçons que filles, à l’école. » Mme Lewanika a été membre du lobby de femmes qui a incité l’organisation politique du continent, l’Union africaine, à adopter, en 2004, une règle révolutionnaire selon laquelle les femmes doivent occuper la moitié des postes de haut rang au sein de son administration. Elle a également travaillé en faveur de l’adoption, en 2000, de la résolution 1325 de l’ONU, qui favorise la participation égalitaire des femmes dans les activités de prévention et de règlement des différends, de maintien et de consolidation de la paix.
Cependant, Mme Mbikusita-Lewanika représente l’exception plutôt que la règle. En 2008, seuls septs pays africains (le Rwanda, l’Afrique du sud, le Mozambique, l’Angola, la Tanzanie, l’Ouganda et le Burundi) comptaient au moins 30% de femmes au sein de leur parlement national, en accord avec l’objectif des Nations Unies relatif à la présence des femmes dans les organes décisionaires. C’est le Rwanda qui détient actuellement le record de la plus grande représentation des femmes au sein d’un parlement national.
Accéder à des postes de pouvoir et les conserver n’est pas chose facile compte tenu des rôles traditionnellement attribués aux femmes, déclare Mme Mbikusita-Lewanika à Afrique Renouveau. Si une femme souhaite être députée en plus d’être épouse et mère et que son mari n’approuve pas son choix, il est alors difficile pour elle de continuer. « Quand vous avez de jeunes enfants, il vous faut rentrer vite à la maison alors que vos collègues hommes continuent d’avoir des discussions dans les bars ou les salles » du parlement, ajoute-t-elle.
Les activistes notent que la présence des femmes dans un environnement professionnel étant considérée comme déplacée, leur travail est plus fréquemment surveillé que celui d’un homme occupant le même poste, ce qui ralentit leur promotion à des postes de direction.
Pour accéder à des postes d’autorité, les femmes doivent souvent être surqualifiées afin de pouvoir déjà se faire remarquer, estime Mme Mbikusita-Lewanika. Ceci, poursuit-elle, est une conséquence directe de la manière dont les sociétés considèrent les femmes — c’est à dire comme pas aussi compétentes que les hommes. Et lorsque les femmes sont nommées, « vous entendez des gens dire ‘elle ressemble à un homme’. En d’autres termes, ils entretiennent avec vous le même rapport que si vous étiez un homme quand vous avez de l’ambition. »
Tournant
Depuis la première conférence mondiale sur les femmes en 1975, le mouvement féministe a réalisé d’importants progrès. En février 2006, les militants des droits des femmes et les décideurs se sont réunis à New York pour la 50ème session de la Commission de la condition de la femme de l’ONU (CCF) afin de prendre la mesure des progrès accomplis. Établie en 1946 par le Conseil économique et social (l’un des cinq organes de l’ONU), la Commission a pour mission de défendre les intérêts des femmes.
Lorsque la Commission a été créée, les femmes possédaient le droit de vote dans seulement 30 des 51 pays alors membres de l’ONU. Aujourd’hui, les femmes possèdent le droit de vote partout dans le monde et, dans une majorité de pays, le droit de se présenter aux élections. Les lignes de bataille ont aujourd’hui changé.
« Les progrès ont été lents et inégaux », indique l'ancienne vice-présidente de la CCF, Adekunbi Abibat Sonaike originaire du Nigéria. La Commission économique pour l’Afrique est du même avis, et fait observer que les femmes n’ont pas suffisamment accès aux biens de production, tels que la terre, l’eau, l’énergie, le crédit, les moyens de communication, l’éducation et la formation, les services de santé et un travail décemment rémunéré.
La Conférence des femmes de Pékin en 1994, a constitué un moment déterminant dans la lutte pour l’égalité des sexes. A Pékin, les gouvernements ont établi un quota de participation des femmes de 30% des postes de décision.
Pouvoir et participation
En dépit des difficultés, de plus en plus de femmes parviennent à sortir du lot. Le pourcentage de femmes au sein des parlements nationaux dans le monde est passé de 11,7% en 1995 à 19,3% en juillet 2011. Mais l’accès des femmes à des postes de pouvoir ne résout pas, en lui même, la nécessité de créer un environnement qui leur permette d’apporter une véritable contribution, fait remarquer Mme Pumla Mncayi, directrice du Gender Advocacy Programme, un lobby sud-africain en faveur de l’égalité des sexes.
Si, de tout temps, les femmes ont eu moins de possibilités que les hommes d’accéder à des postes à responsabilité, elles ont souvent aussi été intimidées par le système politique et hésitent à y participer, explique Mme Mncayi. Des programmes rigoureux visant à former et préparer les femmes lorsqu’elles accèdent aux couloirs du pouvoir sont donc indispensables.
Certaines femmes politiques africaines doivent aussi faire face à des systèmes politiques qui entretiennent le trafic d’influence. Au sein de tels systèmes, les politiciens dépendent de la hiérarchie d’un parti plutôt que de leurs électeurs, ce qui rend les élus moins efficaces dans l’établissement des politiques.
Dans un rapport du Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique de l’ONU, Shireen Hassim et Sheila Meintjes notent que la représentation proportionnelle, un système électoral largement considéré comme plus favorable aux femmes, possède des désavantages qui ne sont pas souvent cités, permettant « aux partis politiques d’établir des mécanismes de contrôle sur les femmes. »
Au Zimbabwe, écrivent Catherine Makoni et Tsitsi Matekaire, les mouvements féministes n’ont pas su s’ils devaient ou non célébrer la nomination, en 2004, de la première femme vice-présidente du pays, Joyce Mujuru. La nomination de cette dernière a été considérée par certains comme «le résultat d’un des jeux auxquels se plient les partis politiques », indiquent-elles dans une étude réalisée pour l’Organisation des femmes pour l'environnement et le développement (WEDO), un groupe international de défense des droits des femmes.
Bien que les conflits armés aient des effets extrêmement néfastes en Afrique, indique Doris Mpomou, une chercheuse travaillant à New-York pour WEDO, ils ont, paradoxalement pour effet de «permettre aux femmes de modifier les relations entre les sexes et d’accéder à des postes de direction. »
Ces dix dernières années, plus du tiers des conflits armés dans le monde ont eu lieu en Afrique. Les guerres ont détruit les infrastructures, freiné le développement et rendu les femmes plus vulnérables, notamment au viol et aux abus.
Mais les conflits armés ont aussi donné aux femmes la possibilité de changer leur vie et de redéfinir leurs rôles. Les conflits engendrent souvent d’importants changements démocratiques, les hommes partant à la guerre et mourant au combat. Dans certains conflits, tels que la guerre d’indépendance qui a opposé l’Erythrée à l’Éthiopie et les guerres de libération de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe, les femmes ont combattu aux côtés des hommes, affirmant ainsi leur égalité avec ces derniers et disposant d’un plus grand pouvoir de négociation après les conflits.
ONU-Femmes est très actif dans la formation des femmes à l’exercice du pouvoir dans de nombreux pays d’Afrique, dont le Rwanda, la Sierra Leone, le Libéria et la République démocratique du Congo (RDC). Des organisations indépendantes comme International Alert, organisation créée en 1985 et dont le siège est à Londres, jouent également un rôle important. Ce groupe travaille en collaborationavec des réseaux de femmes et a contribué à la participation des femmes aux processus de paix du Libéria et de la RDC.
Les femmes et les institutions internationales
Les militants de l’égalité des sexes aspirent à voir davantage de femmes occuper des postes de haut niveau au sein des institutions financières internationales, telles que la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international (FMI). C’est dans les domaines de l’économie et des finances que les femmes sont le moins représentées, indique WEDO. Au cours des dernières décennies, la Banque mondiale et le FMI ont conçu des programmes de réforme économique pour les pays pauvres. Les femmes n’ayant pas participé à la formulation de ces politiques il s’ensuit que «la majorité des politiques monétaires, financières et commerciales qui sont mises en œuvre dans le monde… ne tiennent pas compte des disparités entre les sexes, ce qui provoque de graves pertes économiques pour la société dans son ensemble », indique WEDO.
L’un des résultats de la réunion, en 2006, de la Commission de la condition de la femme, explique Mme Mpomou, a été que «les militants ont réussi à imposer aux institutions financières internationales et aux universités l’adoption d’un taux de représentation des femmes de 30% ».
Au sein de la Banque mondiale et du FMI, les femmes occupent environ 20% des postes de direction et moins de 10% des membres du Conseil des gouverneurs de ces organisations sont des femmes. Alors que ces institutions ont qualité pour modifier le nombre d’hommes et de femmes au sein de leur personnel, elles exercent peu de contrôle sur leur conseil d’administration. Les gouverneurs sont nommés par chaque État membre. En juin 2011, la Française Christine Lagarde est devenue la première femme à la tête du FMI.
Le Caucus des femmes africaines au sein de la CCF dénonce le fait que même l’Organisation des Nations Unies continue à accuser un retard dans ce domaine. L’Organisation existe depuis plus de soixante ans et « aucune femme n’a jamais été Secrétaire générale, » soulignent-elles dans une déclaration où elles exhortent les Nations Unies à favoriser l’accession des femmes aux postes supérieurs, en particulier à un moment où l’Organisation mène des réformes.
Rwanda : la politique au féminin
Le nombre de femmes parlementaires au Rwanda est le plus élevé du monde. Elles occupent 56% des sièges à la Chambre basse. La moyenne mondiale est de 19%. Il est vrai qu’à la tête d’une famille sur trois dans ce petit pays, on trouve une femme. Les femmes sont aussi présentes dans des secteurs traditionnellement réservés aux hommes, la construction ou la mécanique par exemple.
C’est en politique cependant que leur succès est le plus remarqué. La nouvelle constitution prévoit que 24 des 80 sièges de députés soient réservés aux femmes, de même que six des 20 sièges de Sénateurs. Pour en arriver là, les Rwandaises ont exercé de fortes pressions, participé à la rédaction de la nouvelle constitution et contribué à l’élaboration du code électoral. Elles ont également réussi à imposer la création d’un ministère des Affaires féminines.
« Il sera intéressant de voir ce que l’entrée à l’Assemblée nationale de tant de femmes signifiera pour la politique au Rwanda », note l’Union interparlementaire, l’organisation qui regroupe les Parlementaires du monde. Son président, Anders Johnsson, fait remarquer que les pays du Nord de l’Europe ont une tradition bien établie de participation des femmes au processus de prise de décisions, mais que désormais le Rwanda dépasse la Suède, longtemps le chef de file dans ce domaine avec un taux de représentation féminine au Parlement de 45%.
Le cas du Rwanda illustre les changements enregistrés ailleurs en Afrique subsaharienne. En Afrique du Sud, en Angola et au Mozambique par exemple, les femmes détiennent au moins 30% des sièges au Parlement. Ce taux correspond aux objectifs fixés sur le plan international.
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