Claire Ngozo
LILONGWE, 30 jan (IPS) - Une campagne visant à empêcher les gens d’acheter des produits auprès des vendeurs de rue s’intensifie à Lilongwe, Blantyre et Mzuzu, les principales villes du Malawi, après que les petits commerçants se sont livrés à des actes de violence, déshabillant des femmes et des filles portant un pantalon, des shorts longs et des mini-jupes.
Les vendeurs de rue occupent les trottoirs et les coins de rue dans les parties les plus fréquentées des grandes villes du pays. Ici, ils vendent tout, des vêtements aux articles électroniques en passant par la nourriture et l'épicerie.
Mais, lorsque les vendeurs de Lilongwe se sont livrés à de violentes manifestations il y a deux semaines pour protester contre leur expulsion forcée par le conseil municipal local, les choses ont pris une tournure pour le pire puisque les vendeurs ont commencé à enlever les vêtements des femmes et à les agresser physiquement.
Baptisée "lero nkugule, mawa undivule", en langue vernaculaire chichewa et traduite par "aujourd'hui j’achète chez vous, demain vous me déshabiller", cette campagne a été lancée le 18 janvier, au lendemain des agressions.
Des femmes activistes veulent utiliser la campagne pour donner aux vendeurs une leçon sur le respect des femmes, selon Seodi White, directrice exécutive de l'influente organisation de défense des droits des femmes, 'Women in Law in Southern Africa-Malawi' (Femmes dans le droit en Afrique australe-Malawi).
White a déclaré à IPS que l'appel à boycotter les vendeurs s’étend également aux hommes qui veulent aussi protester contre leur comportement.
"Nous voulons envoyer un message clair selon lequel nous ne voulons pas retourner au passé où nous n'avions pas la liberté de nous habiller", a indiqué White.
Le Malawi était sous une dictature jusqu'en 1994 lorsqu’il a adopté le gouvernement démocratique. Pendant ce temps, il était interdit aux femmes de porter des shorts, des mini-jupes et de pantalon. Mais, les vendeurs affirment aujourd’hui qu'ils veulent rétablir ce code vestimentaire et "ramener les femmes à la raison".
Récemment, les vendeurs de rue sont devenus une force puissante politiquement; en août 2011, le président du pays, Bingu wa Mutharika, leur a fourni une somme d'argent dont le montant n’a pas été révélé, à utiliser comme un fonds de crédit renouvelable.
Mutharika a également dîné avec quelque 2.000 vendeurs dans son somptueux palais, peu après les manifestations organisées à l’échelle nationale du 20 au 21 juillet contre la mauvaise gouvernance et la détérioration de la situation économique dans le pays. Jusqu'à 21 personnes ont été tuées par la police et 275 ont été arrêtées lors des manifestations et des pillages, auxquels les vendeurs avaient participé activement.
Lors du dîner, Mutharika a obtenu le soutien de ces commerçants et leur avait demandé de ne pas participer de nouveau à toute manifestation. Il avait promis qu'il ne les renverrait jamais des rues.
Mais le 5 janvier, la 'Lilongwe City Assembly' (Assemblée de la ville de Lilongwe), le conseil de la ville capitale, a tenté de renvoyer les vendeurs des rues pour les amener dans des zones indiquées existantes. Les commerçants se sont révoltés et ont accablé la police qui a tenté de réprimer le mouvement, qui a vu des entreprises fermer pendant une journée. L'armée du Malawi avait dû être appelée pour disperser les vendeurs qui sont retournés vendre dans les rues le lendemain.
Les tensions continuaient à monter et le 17 janvier, les vendeurs se sont retournés contre les femmes et les filles, affirmant que Mutharika les avait envoyés "dégager les rues des femmes habillées de manière peu convenable".
Joyce Ngwira, l'une des nombreuses femmes qui ont été déshabillées, alors qu'elle marchait dans la 'Lilongwe Old Town' (vieille ville de Lilongwe), a déclaré à IPS qu'elle est toujours traumatisée après l'épreuve.
"Je portais seulement mon décent pantalon quand j’ai vu un groupe de vendeurs sauter sur moi. Ils m'ont tirée dans différentes directions et ont déchiré mes vêtements. Il a fallu un groupe d'autres passants pour me sauver", a-t-elle expliqué.
Le comportement des vendeurs s’est rapidement propagé à Blantyre et Mzuzu, d'autres villes principales du pays. Depuis ce temps, beaucoup de femmes ont changé leur façon de s'habiller et ont commencé à porter des jupes et robes longues traditionnelles pour aller au travail et faire des emplettes.
Depuis le 18 janvier, des policiers armés patrouillent dans les rues pour protéger les femmes et les filles, et 15 personnes ont été arrêtées depuis, selon le porte-parole de la police, Dave Chingwalu.
"Les hommes surpris en train de causer des ennuis aux femmes ont été accusés de violences et de dommages causés avec intention de nuire", a indiqué Chingwalu. "Nous ne regarderons pas les bras croisés les femmes en train d’être harcelées; il y a la liberté de s'habiller dans ce pays et personne n'a le droit de dicter la façon dont les femmes doivent s'habiller".
Pendant ce temps, des femmes activistes et des défenseurs des droits humains ont tenu une réunion de protestation à Blantyre le 20 janvier, au cours de laquelle une section transversale de personnes, y compris la vice-présidente du pays, Joyce Banda, la ministre de la Promotion du Genre, Reen Kachere, et d'autres politiciens, rassemblés pour condamner le mauvais traitement infligé aux femmes par les vendeurs.
Lorsque les attaques ont commencé, Banda avait déclaré aux médias locaux que les frustrations économiques devraient être à la base du mauvais comportement des vendeurs. "Les gens souffrent tellement qu’ils ont décidé de déverser leurs frustrations sur les autres", a-t-elle affirmé.
Le Malawi continue de tituber sous de graves problèmes économiques après que ses principaux donateurs ont coupé l'aide accordée au pays l'année dernière.
Jusqu'à 40 pour cent du budget national du Malawi a été dépendant des donateurs et 80 pour cent du budget de développement du pays était fourni dans le cadre de l'Approche commune à l'appui budgétaire, qui comprend la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la Banque africaine de développement, la Norvège, l'Union européenne et la Banque mondiale.
Les gouvernements britannique et allemand refusent déjà de décaisser jusqu'à 400 millions de dollars. (FIN/2012)
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