Le 6 février est marqué par la Journée internationale de lutte contre l’excision. Chaque année, deux à trois millions de fillettes sont victimes de mutilations génitales. Originaire de Côte d'Ivoire, Naky Sy Savané est une comédienne militante qui lutte contre ce fléau.
Naky Sy Savané dans le film La nuit de la vérité © Tous droits réservés
l'auteur Ekia Badou
Les hommes ne comptent pas pour des prunes
«Les hommes, une participation indispensable dans la lutte contre l’excision», c’est ce qui est mis en avant sur le tract que l'actrice distribue dans les rues de Marseille. Avec une équipe d’une dizaine de bénévoles, composée de filles et de garçons, de jeunes et de moins jeunes, d’Africains et d'Européens, elle arpente les trottoirs pour faire connaître l’événement qui se tient le 6 février à la Maison de la Région sur le port de la Cannebière. C'est dans cette ville du sud, méditerranéenne, que la comédienne ivoirienne a élu domicile depuis son arrivée en France.
«J’ai envie que les hommes prennent part à ce combat», explique Naky qui milite dans l'association Gams. Créé en 2006, cet organisme signifie: Groupe de femmes pour l’abolition des mutilations sexuelles.
Les femmes de ce mouvement ont ainsi ouvert leur porte aux hommes parce qu’elles considèrent que c’est une lutte commune. Le pari est réussi puisque à la table ronde de l’événement réunit des hommes engagés. Il s’agit de l’avocat Kamara Moustapha, le professeur Agostini qui est gynécologue et le président de l’association Gams de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Kélétigui Coulibaly.
Ensemble, ils se battent pour que les femmes victimes de mutilations sexuelles puissent avoir une prise en charge médicale et une aide psychologique. Ils pointent également du doigt ces violences dites coutumières.
Des imams courageux depuis le Mali ont aussi décidé de soutenir l’initiative de Naki. Ces hommes influents, se sont réunis à Mopti, dans le pays Dogon (à 650 kilomètres de Bamako), pour convaincre les villageois d’éradiquer l’excision.
L’excision, une coutume à bannir
L’association Gams PACA* propose aussi d’informer par différents canaux. Débats, animations, conférences, visites de prévention dans les établissements scolaires, théâtre, mais aussi diffusion de fictions.
Ainsi, un court-métrage réalisé par la Togolaise Anne-Laure Folly nous plonge dans le Sénégal du début 2000, où l’excision est devenue interdite par la loi pour l’hygiène. On apprend dans le film Déposez vos lames que cette tradition, transmise de mères en filles depuis des générations, est très suivie dans ce pays. Au fil des 25 minutes du récit, une «exciseuse» devient militante et fait de la prévention pour alerter des dangers de cette tradition. On assiste à son changement de camp. Elle prend conscience du mal qu’elle engendrait alors qu'elle pensait pourtant faire du bien.
Pour Naky, il y a encore urgence à faire de la prévention:
«Beaucoup trop de filles sont encore excisées en France, alors que la pratique recule en Afrique. Les victimes découvrent cette blessure de façon pénible. Soit lors de leur première expérience sexuelle avec leur partenaire, ou lors d’une visite à l’hôpital. Ce n’est pas acceptable.»
Elle ajoute excédée:
«J’ai visité dans un centre hospitalier une jeune femme qui a accouché avec d’atroces souffrances. Elle a vécu une excision de type III qui consiste à lui couper le clitoris et à lui coudre une partie de son orifice vulvaire, puis à être décousu pour son mariage… Imaginez la douleur.»
Se réapproprier l'histoire
Pour Amouna Ngouonimba, un autre invité de cette journée de débat à Marseille, l’existence d’une tradition de mères exciseuses n’est que pure supercherie. Au même titre que le christianisme et l’islam, ce sont d’autres civilisations qui seraient venues amener l’excision en Afrique, des sources qui seraient sémites et indo-européennes (par les Arabes, les Juifs, les Européens et les Asiatiques). «C’est à nous d’écrire notre histoire», insiste cet auteur qui confie que son modèle n'est autre que Patrice Lumumba, héros de l'indépendance congolaise.
Dans son livre paru en mars 2011, L’Excision, aux sources d’une longue tradition et coutume eurasiatique, Amouna Ngouonimba affirme démontrer à partir de preuves historiques et culturelles, l’inexistence d’une tradition d’excision de la genèse du peuple africain jusqu'à nos jours. Son ouvrage, ajoute-il, est écrit «pour que les femmes deviennent propriétaires de leur corps. Si la femme est brisée dans son intérieur c’est la famille tout entière qui est menacée». Il rappelle qu’en Afrique «c'est la femme qui est le moteur de la société».
Naki Sy Savané a incontestablement le don de savoir réunir des personnes très différentes et qui sans elle, ne se seraient jamais rencontrées. Certes, les avis sur les causes de l’excision divergent, mais le désir de prévenir et d’éradiquer ce fléau anime tous ces partenaires.
Cette journée n’est qu’une date de plus pour un combat dont ils espèrent tous voir la fin prochaine. Un but à atteindre par la prise de conscience générale, car comme le souligne Naky:
«L’excision, ça n’a rien de religieux, ce n’est ni dans la Torah, ni dans la Bible, ni dans le Coran. C’est clairement un contrôle sur la sexualité d’autrui et une blessure qui va demeurer indélébile.»
Ekia Badou
*Pour plus d'informations sur l'association Gams Paca, la permanence d’aide aux victimes: 04 91 95 83 55, 06 73 43 96 32 rue de Crimée, 13 003 Marseille.
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