De nouvelles initiatives sont mises en place pour évaluer l’impact sur les femmes de l’aide au développement
Par Michael Fleshman
Plusieurs dizaines d’années après que le monde a reconnu l’égalité des sexes comme droit humain, les femmes sont majoritairement tenues à l’écart des postes de haut niveau au sein des gouvernements et des entreprises, reçoivent des salaires inférieurs à ceux de leurs collègues hommes et sont confrontées à des coutumes, traditions et comportements qui limitent leurs perspectives d’avancement. Les gouvernements, les entreprises et la communauté internationale fournissent-ils l’argent nécessaire à l’application de leurs résolutions en faveur de la promotion des femmes ? L’aide internationale, les fonds gouvernementaux et les ressources du secteur privé sont-ils répartis de façon à réduire les inégalités économiques, sociales et politiques qui existent entre hommes et femmes ?
Comme le fait remarquer Jacinta Muteshi, ancienne présidente de la Commission pour l’égalité des sexes et le développement au Kenya, la réponse est plus souvent négative. Si certains progrès ont été réalisés en matière de représentation politique des femmes, les avancées ont été plus limitées dans le domaine économique, en particulier pour les femmes pauvres. Ceci s’explique par le fait que les déséquilibres « sont souvent ancrés dans les institutions sociales, les politiques macroéconomiques et les stratégies de développement qui ne prennent pas suffisamment en compte le fait que les femmes sont des agents importants du développement économique et de la réduction de la pauvreté, » explique Mme Muteshi à Afrique Renouveau.
Dans le rapport annuel des Nations Unies 2010-11 sur les femmes, la Directrice exécutive Michelle Bachelet fait part de ses inquiétudes vis à vis du rythme des progrès : « Il n’est pas acceptable que des jeunes filles soient encore retirées de l’école ou que des femmes meurent à cause de complications après accouchement qui pourraient être évitées, mais ces choses continuent de se produire chaque jour. » Dans quelques pays, notamment au Rwanda et en Afrique du Sud, le nombre de femmes siégeant au parlement a augmenté ainsi que le nombre de femmes élues ou nommées comme hauts fonctionnaires.
Le visage féminin de la pauvreté
La parité économique semble encore bien loin. Dans le monde du travail, estime un rapport de 2008, les déséquilibres entre sexes se traduisent par le fait que « les femmes sont plus nombreuses que les hommes à occuper des emplois de subsistance, informels et vulnérables, » c’est à dire qu’elles sont à leur compte ou ne sont pas rémunérées parce qu’elles travaillent dans des entreprises familiales. D’après l’Organisation internationale du Travail (OIT), plus de 67% des femmes africaines travaillent dans le secteur de l’agriculture en tant que petites exploitantes pratiquant une agriculture de subsistance. Moins d’une femme sur cinq qui travaille en Afrique subsaharienne touche une rémunération régulière ou un salaire contre un tiers d’hommes africains détenteurs d’un emploi et près de 93% de femmes salariées dans les pays développés.
Les obstacles supplémentaires auxquels doivent faire face les femmes qui veulent se sortir de la pauvreté grâce à leur travail sont ainsi recensés par la Banque mondiale. Dans son Enquête sur les entreprises 2010, la Banque estime que tant dans le secteur public que privé, seule une femme africaine salariée sur 26 occupe un poste de direction, contre un homme africain sur six. Le manque d’opportunité dans leur pays incite un pourcentage plus élevé de femmes africaines diplômées (près de 28%) que d’hommes africains diplômés (17%) à aller chercher un emploi à l’étranger.
Le Programme des Nations Unies pour le développement notamment estime que jusqu’à 70% des personnes pauvres dans le monde sont des femmes. Pour Mme Muteshi, les dés sont pipés dans le domaine économique au détriment des femmes. Citant certains chiffres de l’ONU, elle fait remarquer que ce sont les femmes qui fournissent deux tiers du temps de travail mondial et produisent la moitié de la nourriture de la planète, bien qu’elles ne touchent que 10% des salaires et possèdent moins d’un pour cent du patrimoine terrien et immobilier mondial.
Cet écart reflète, selon elle, « l’absence des femmes au niveau du leadership économique. » Les Africaines sont rarement parmi les responsables de haut rang au sein des banques centrales et des ministères des finances, de l’économie ou du commerce. « La même chose est valable pour la représentation des femmes au sein du secteur privé. »
Les employeurs dans les secteurs offrant davantage de perspective d’emplois préfèrent souvent embaucher des femmes parce qu’elles sont considérées comme disposant de moins de possibilités de revenus que les hommes et sont de fait prêtes à accepter des salaires et des conditions de travail moins avantageux. Les ouvrières sont aussi moins susceptibles que les hommes d’être membres d’un syndicat.
Question d’argent
Dans les années 80, les défenseurs des droits des femmes ont commencé à examiner les budgets publics afin de comprendre comment les échanges financiers influaient sur la situation des femmes. Les activistes ont tout d’abord porté leur attention sur le domaine le plus important pour les femmes, les dépenses publiques. En analysant la répartition des budgets, ils ont tenté de garantir que les femmes bénéficient équitablement des choix de dépenses nationales.
Dans un rapport remis à la Commission de la condition de la femme des Nations Unies en décembre 2007, le Secrétaire général Ban Ki-Moon notait que 50 gouvernements dans le monde, y compris plusieurs gouvernements africains, utilisaient des méthodes de budgétisation prenant en compte les problématiques hommes-femmes pour fixer certaines priorités de dépense. Le Maroc par exemple a mis en place de telles méthodes dans le cadre d’une réforme plus large de son processus de budgétisation des dépenses.
Des efforts ont été réalisés pour tenter d’évaluer le coût des inégalités entre hommes et femmes. Le rapport de M. Ban estime qu’entre 0,1 et 0,3% du Produit intérieur brut (PIB) d’un pays disparaît chaque année par manque de « promotion de l’égalité entre les sexes et d’émancipation des femmes. » Cet objectif est le troisième d’une liste de huit objectifs de développement convenus par la communauté internationale et connus sous le nom d’Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).
Il s’agit notamment de s’engager à éliminer les inégalités entre les sexes dans le domaine de l’éducation d’ici 2015. Parvenir à cette amélioration dans les pays pauvres, estime le rapport, nécessiterait que les dépenses annuelles en faveur des programmes de promotion de l’égalité entre les sexes passent d’environ 8,6 milliards de dollars en 2006 à 24 milliards de dollars d’ici à 2015. Pour sa part, la Banque mondiale estime le coût pour parvenir, d’ici à 2015, à une véritable égalité entre hommes et femmes d’un point de vue économique et d’un point de vue social à 83 milliards de dollars par an.
Entre 2002 et 2010, indique l’Organisation pour la coopération et de développement économiques (OCDE) qui rassemble les pays industrialisés de la planète, le soutien aux programmes en faveur de l’égalité entre les sexes est passé de 2,5 à 15,2 milliards de dollars et le montant de l’aide dans ce domaine est passé de 15 à 45,7 milliards de dollars. Le groupe note toutefois que « consacrer un pourcentage élevé de l’aide à la promotion de l’égalité entre hommes et femmes ne signifie pas pour autant que l’aide respecte les objectifs d’une politique d’égalité entre les sexes. » Dans un autre rapport, il indique que l’aide liée au genre est attribuée principalement aux services sociaux. Seul 1 dollar sur 4 d’aide accordé aux infrastructures et aux activités de production directe comme les exploitations minières, la fabrication industrielle et l’agriculture est attribuée à des projets qui comptent parmi leurs objectifs l’amélioration de l’égalité entre hommes et femmes.
Les gouvernements qui bénéficient de l’aide au développement doivent également faire davantage d’efforts. Depuis peu, les donateurs ont commencé à allouer une plus grande part de l’aide aux pays pauvres au travers d’un soutien budgétaire plutôt que par le financement de projets individuels. Une étude récente du Réseau pour l’égalité hommes-femmes de l’OCDE a montré que dans le cadre des financements de programme, les décisions reviennent aux ministères des finances qui reçoivent l’argent. « Ces ministères sont souvent peu conscients des problématiques relatives à l’égalité hommes-femmes dans le contexte du développement. C'est aussi le cas d'une grande partie du personnel responsable du côté des donateurs. »
La liberalisation contre les femmes
Mme Muteshi pense que le problème est encore plus profond. « Les structures économiques néolibérales actuelles défavorisent les femmes en général, » affirme-t-elle. L’accent qui est mis, de manière trop exclusive, sur la croissance et permet pas la reconnaissance du fait que « la nature de la vie économique de chacun dépend de son sexe. » Les théories de libéralisation qui ont influencé de nombreuses stratégies de développement, fait-elle remarquer, ont tendance à contraindre les femmes à aller vers des « formes de travail précaire, temporaire, non réglementée et abusive » au sein du secteur informel.
Il y a eu cependant des avancées positives, reconnaît Mme Muteshi. Les femmes ont bénéficié de microcrédits, qui sont aujourd’hui disponibles dans la plupart des pays africains. Toutefois, « leurs montants restent faibles, ajoute-t-elle, et ont rarement été revus à la hausse de manière à renforcer véritablement le pouvoir économique des femmes. Il est temps de fournir aux femmes des prêts qui ne soient pas seulement ‘micro’. »
Mme Muteshi estime que le plus grand problème que posent les programmes des donateurs en Afrique est qu’ils ne permettent pas des investissements dans des domaines particulièrement importants pour les femmes. Dans le secteur de l’agriculture, rappelle-t-elle, les Africaines représentent à peu près 70% de la main d’œuvre et cultivent environ 90% des récoltes : c’est néanmoins un secteur qui a connu peu de vrais investissements à destination des femmes. »
Le commerce est une autre source potentiellement importante de financement qui peut contribuer à l’égalité hommes-femmes. Mais les efforts pour évaluer son influence ont été minés par l’inexactitude des informations et des recherches. Son impact général semble toutefois plutôt mitigé. L’accès au marché américain au travers de la loi AGOA (African Growth and Opportunity Act) a contribué à la création d’emplois pour les femmes au sein de l’industrie textile en Afrique dans les années 90.
Mais suite à la libéralisation de ce secteur par l’Organisation mondiale du commerce en 2005, de nombreuses usines ont été relocalisées en Asie. Dans le même temps, les barrières douanières de l’Union européenne vis-à-vis des produits agricoles africains, le secteur d’exportation le plus important pour les femmes, sont demeurées très élevées.
De façon plus générale, la libéralisation du commerce n’a pas permis d’accroître de manière conséquente les opportunités de travail pour les femmes. Les pays africains continuent d’exporter encore en priorité et majoritairement des matières premières, en particulier dans les secteurs de l’énergie et des mines, et quelques produits agricoles à succès tels que le café et le thé. Au sein de ces secteurs, les femmes sont mal représentées.
Des femmes africaines se sont battues pour que la parité hommes-femmes et la réduction de la pauvreté soient inclus dans les accords commerciaux multilatéraux. Mais leurs efforts ont été contrariés par le refus des principales économies mondiales de prendre en considération les droits de l’homme et les droits sociaux lors des négociations commerciales. Les femmes africaines ont cependant enregistré quelques victoires en travaillant avec les groupes de la société civile des pays du Nord promotrices du commerce équitable qui permet de combattre certaines de ces injustices.
Programme d’action
Dans la lutte pour l’égalité économique, affirme le rapport de l’ONU sur les femmes, tout indique que les Africaines et les autres femmes victimes de la pauvreté demeurent « en marge des économies formelles. » Garantir les ressources nécessaires au maintien de l’égalité hommes-femmes, indique l’organisation, est une « mission critique » pour les programmes de développement en Afrique. Ceci nécessitera des modifications fondamentales dans la répartition du pouvoir et des richesses. De tels changements impliquent notamment d’appliquer des quotas pour les élus et les fonctionnaires, de s’assurer que les femmes participent aux choix de politiques économiques et d’accélérer les progrès en vue de la réalisation des Objectifs du millénaire dans les domaines de la parité, de la santé et de l’éducation. Les marchés doivent également être régulés pour garantir une participation entière et équitable des femmes à la vie économique.
Les initiatives actuelles en faveur de l’émancipation des femmes et de l’égalité des sexes sont trop peu ambitieuses, insiste Mme Muteshi. « Elles ne s’attaquent pas de manière appropriée aux conditions de base qui génèrent ces inégalités. » Tant que le monde n’apprendra pas à apprécier le travail que les femmes fournissent réellement, « les femmes seront exposées à la pauvreté, à la violence et aux abus. »
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