L’accès au crédit et à la technologie restent des obstacles majeurs
Par Efam Dovi, Accra
« Une très longue épreuve », c’est en ces termes que Leticia Osafo-Addo, propriétaire d’entreprise à Accra évoque sa longue marche vers le succès, commencée il y a presque 30 ans. Elle a débuté dans sa cuisine en préparant, pour des amis, une petite dizaine de bocaux de shito, une sauce épicée au poivre noir très populaire au Ghana. Le succès a été tel que Mme Osafo-Addo a dû en préparer davantage. Elle a trouvé un cours de formation à la gestion des affaires offert par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement afin de promouvoir des petites et moyennes entreprises stables.
Passer de sa cuisine à une petite entreprise fut long et difficile cependant. Le plus grand obstacle était d’obtenir des capitaux. En 2001, elle s’est retrouvée endettée en raison des retards de paiement de son plus gros client, les forces armées du Ghana. Mais cette année a aussi été celle où ses affaires sont parvenues à un tournant. Le centre de promotion des investissements du Ghana a facilité l’acquisition de 51% de sa société par un fabricant de soupes autrichien, faisant augmenter la valeur de celle-ci et lui permettant de se procurer des prêts accordés par deux ministères ghanéens. Ce qui lui a ensuite permis de louer et de rénover des locaux. Son usine a ainsi ouvert ses portes en janvier 2006.
L’histoire de la réussite de Madame Osafo-Addo est inhabituelle, mais ses difficultés sont communes à de nombreuses femmes entrepreneurs du Ghana. Environ 80% des entreprises dont le propriétaire est une femme sont bloquées au niveau de la « microentreprise ». Elles ne peuvent pas en assurer l’expansion, faute de soutien, d’accès au crédit bon marché et à long terme, et faute aussi d’accès aux nouvelles technologies. Elles font face à des infrastructures médiocres, à de faibles capacités, et à un contexte politique des plus difficiles.
Selon des estimations de la Banque mondiale, la plupart des entreprises du Ghana, qui représentent 70% de l’emploi dans le pays, sont des micro-entreprises ou des petites et moyennes entreprises. Leurs activités vont de l’agriculture à l’agro-alimentaire en passant par le textile, la confection ou l’artisanat. Cependant, à cause de la négligence dont il souffre, ce secteur a connu de grandes difficultés depuis plusieurs décennies, contribuant à un déplacement de l’entreprise productive vers le commerce à très petite échelle.
À cause de ces problèmes, explique madame Christy Banya, une analyste de programmes pour le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le gouvernement a le devoir de prendre des mesures fermes, « les entreprises locales ont besoin d’être protégées. »
Elle note également que les banques semblent plus disposées à accorder des prêts aux importateurs de produits à bon marché qu’aux industriels locaux. Les importateurs vendent leur marchandise rapidement et à des marges supérieures. Mais les entreprises du pays ont besoin de plus de temps pour commencer à dégager des bénéfices et pour rembourser leurs prêts, ce qui écarte d’elles les institutions financières.
Comme dans le cas de madame Osafo-Addo, le défi que représente trouver les capitaux indispensables a bloqué l’expansion de la société de confection de Lucia Quachey. Les taux d’intérêt des banques commerciales sont habituellement élevés, de plus les banques exigent un nantissement, ce que de nombreuses femmes ne peuvent pas fournir.
Les femmes ghanéennes ne font en général face à aucun problème pour mettre en place une activité de subsistance. La difficulté a toujours été de franchir ce cap, de passer de la micro à la petite entreprise. C’est à cette étape précise qu’une aide est la plus nécessaire. C’est pourquoi le gouvernement a lancé un fonds capital-risque, le Venture Capital Trust Fund, pour investir dans les petites et moyennes entreprises.
Handicaps sociaux
Mais les associations de femmes d’affaires s’inquiètent que leurs membres ne puissent pas accéder à ce fonds. « Au bout du compte, seules les grosses entreprises pourront avoir accès à ces fonds parce que l’information ne circule pas sur le terrain, là où la majorité des femmes sont illettrées, » affirme Madame Quachey. « Les ressources sont peut-être disponibles, mais elles pourraient être complètement inaccessibles aux femmes, car culturellement et socialement, les femmes sont handicapées. » Elle cite les rôles multiples des femmes dont on attend qu’elles s’occupent de leur ménage et de leur famille, ce qui entrave leurs progrès dans des métiers dont les activités sont extérieures à la maison.
De plus, les normes sociales prévalant au Ghana influencent la capacité des entreprises dont les propriétaires sont des femmes à fonctionner comme les entreprises plus lourdes, dominées par des hommes. Beaucoup d’affaires se négocient dans des hôtels après les heures ouvrables. Dans un pays où les femmes sont encore largement considérées comme des femmes au foyer, la question surgit fréquemment : « Que fait une femme mariée dans un hôtel avec des hommes ? »
Madame Quachey cite aussi une forte tendance au « copinage » dans les milieux d’affaires qui sont à une majorité écrasante dominés par les hommes. Il n’y a pas assez de femmes au sommet pour encourager d’autres femmes à s’aventurer dans ce monde.
Madame Gifty Boahene, Directrice générale de Fairgreen Ltd., une société de technologie de l’information, pense que les temps changent et que la perception des femmes qui font des affaires en dehors de la maison changera également. Mais elle ajoute : « Nous n’en sommes pas encore là. J’ai vu des femmes mariées qui devaient se donner tout le mal du monde pour présenter leurs collègues de travail à leur mari, » pour rassurer les maris que leurs rapports étaient strictement professionnels. Certains mariages n’y résistent tout simplement pas.
Le temps des réformes
Historiquement, la politique du Ghana n’a pas été très favorable pour l’entreprise. Des décennies de régime militaire dans les années 1970 et 1980 ont fait fuir un grand nombre d’entrepreneurs locaux et étrangers. Aujourd’hui, grâce à l’atmosphère de stabilité politique et à la bonne image dont jouit le pays, les industriels espèrent que le gouvernement mettra en œuvre une politique favorable aux entreprises. Une telle démarche pourrait aider la transition des entreprises de subsistance aux micro-entreprises, puis des petites entreprises aux moyennes entreprises, et enfin des moyennes entreprises aux grandes entreprises. Ceci offrirait plus de chances aux entreprises créées et gérées par des femmes.
Le vent du changement souffle déjà en faveur des femmes entrepreneurs. Avec le soutien des bailleurs de fonds, le gouvernement initie des réformes en vue d'accélérer la croissance du secteur privé, par le biais notamment de l'assainissant du climat des affaires. Bien que ces réformes ne ciblent pas spécifiquement les entreprises déténues par des femmes, elles devraient encourager leurs activités.
« Mettre en place une législation pratique et viable est un élément essentiel pour aider et encourager les femmes qui envisagent de lancer et de gérer leur propre entreprise, » explique Patrick S. Frederick, directeur d’une agence de conseil aux entreprises et co-fondateur du réseau des entreprises Afrique-Caraïbes. « C’est une ressource énormément sous-exploitée qui doit être prise en compte et non négligée. »
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