lundi 6 février 2012

Le rôle central des femmes pour la paix


Un débat historique du Conseil de sécurité met en lumière des obstacles et des possibilités

Par Jennifer Davis

Pour la première fois de son histoire, le Conseil de sécurité s'est réuni les 23 et 24 octobre 2000 pour débattre exclusivement du rôle et de l'expérience des femmes en matière de conflit, de maintien et de consolidation de la paix. La réunion a fait ressortir deux thèmes étroitement liés : la nécessité urgente de prendre des mesures plus énergiques pour protéger les femmes en période de conflits, et le fait qu'une paix durable ne peut être instaurée sans une participation complète et égale des femmes à tous les niveaux et à toutes les étapes.


"Comment se fait-il que nous invitons les seigneurs de la guerre à la table des négociations et pas les femmes?"
-- Noeleen Heyzer, Directrice exécutive d'UNIFEM

Photo : ONU


Par une dérogation presque sans précédent à leurs habitudes, les membres du Conseil de sécurité ont commencé par se réunir en séance privée avec des femmes qui tentent de mettre fin à la violence et de renforcer la paix et la sécurité en agissant dans le cadre d'organisations non gouvernementales (ONG) locales, régionales et internationales. Les thèmes essentiels de cet échange de vues, dont rien n'a transpiré, ont été fréquemment rappelés par les représentants durant le débat public qui a suivi. Les stratégies proposées par les représentants des ONG ont influencé la résolution finale, adoptée le 31 octobre, par laquelle le Conseil de sécurité a exigé que les femmes et les filles soient mieux protégées en temps de guerre, que les actes de violence commis contre les femmes fassent l'objet de poursuites judiciaires, que davantage de femmes soient affectées aux opérations de maintien de la paix et aux missions sur le terrain organisées par l'ONU, et que les gouvernements et tous les organismes des Nations Unies veillent à ce que davantage de femmes participent à la prise de décisions visant à mettre fin aux conflits et à édifier la paix aux niveaux national, régional et international.

"Dans les situations de guerre et de conflit, la sous-représentation des femmes dans la prise de décisions à tous les niveaux est l'un des principaux problèmes", a souligné M. Leutlwetse Mmualefe, Ambassadeur par intérim du Botswana. "Dans la plupart des cas, ce sont les mêmes hommes qui participent à la guerre et qui prennent ensuite la décision de mettre fin au conflit, et pourtant ce sont les femmes qui doivent dispenser des soins aux victimes de la guerre, sur les plans tant psychologique que physique."

"Comment se fait-il que nous invitons les seigneurs de la guerre à la table des négociations et pas les femmes?" a demandé Mme Noeleen Heyzer, Directrice exécutive du Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM).

Dans quelques cas, les femmes ont été en mesure de jouer un plus grand rôle. Une coalition d'organisations locales de femmes somaliennes, par exemple, a contribué au succès de la conférence de paix tenue à Djibouti en novembre 2000, qui a facilité la constitution du nouveau gouvernement transitoire de ce pays, a noté Mme Faiza Jama Mohamed, Directrice du bureau d'Equality Now pour l'Afrique, de Nairobi (Kenya).

"Ces exemples isolés doivent se généraliser pour que les négociations de paix qui laissent les femmes à l'écart soient désormais nulles et non avenues", a dit aux membres du Conseil de sécurité Inonge Mbikusita-Lewanika, Présidente du Réseau pour la paix de la Fédération des femmes africaines. "Des femmes isolées, qui ne sont là que pour les apparences, ont un faible impact. Plus il y a de femmes, plus les chances de succès sont grandes."

Sous-représentation des femmes

Le Secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, a exprimé son accord, affirmant que les femmes sont souvent mieux à même que les hommes de prévenir ou de résoudre un conflit, parce qu'elles en connaissent le prix. Elles sont aussi des "éducatrices de paix" depuis des générations, préservant l'ordre social quand des communautés entières s'effondrent sous le poids des conflits. Il a donc regretté que les femmes soient encore extrêmement sous-représentées dans la prise de décisions, de la prévention des conflits à leur règlement et à la réconciliation qui s'ensuit.

Sur les 189 ambassadeurs des Etats Membres de l'ONU, 10 seulement sont des femmes, a-t-on souligné au cours des débats, et il n'y a actuellement pas une seule femme parmi les 61 représentants et envoyés spéciaux ou personnels du Secrétaire général. Parmi les 15 représentants des pays membres du Conseil de sécurité présents à la réunion, on comptait une seule femme, qui représentait la Jamaïque. "En regardant autour de cette table", a observé Krishna Bose, représentant de l'Inde, "je voudrais ... dire qu'un Conseil de sécurité dominé par les hommes témoigne du problème, et non de la solution". Plusieurs intervenants ont critiqué un important nouveau rapport sur le renforcement des opérations de maintien de paix des Nations Unies (voir Afrique Relance, octobre 2000) parce qu'il ne contenait pas de chapitre sur l'égalité des sexes.

Le débat a permis de recommander diverses façons d'intégrer les femmes aux opérations de la paix des Nations Unies :

  • Chaque mission doit avoir un plan visant à intégrer les problèmes d'égalité des sexes à tous les volets de son activité.
  • Tous les secteurs du rétablissement et de la consolidation de la paix doivent prendre en considération les problèmes d'égalité des sexes.
  • Il faut nommer un plus grand nombre de femmes aux fonctions de représentant spécial.

Beaucoup d'intervenants ont convenu que les préoccupations des femmes ne seront abordées que le jour où les femmes seront effectivement sur le terrain, en nombre important, pour défendre leurs intérêts. Mais les intervenants ont aussi souligné qu'il ne suffira pas qu'une femme commande une force ou exerce la fonction de magistrat. Les femmes doivent participer dès le début à la planification des missions de paix et le personnel de maintien de la paix doit être formé à exercer ses responsabilités envers les femmes et les enfants.

Citant une récente étude des Nations Unies sur les opérations de paix en Bosnie-Herzégovine, au Cambodge, en El Salvador, en Namibie et en Afrique du Sud, la Sous-Secrétaire générale Angela King, Conseillère spéciale pour la parité entre les sexes, a dit que la présence d'une masse critique de femmes dans ces missions - 30 % au moins - pourrait permettre d'émanciper les femmes sur place et d'inspirer confiance à la population locale*.


* Mainstreaming a Gender Perspective in Multi-dimensional Peace Operations,
étude menée en commun par le Département des opérations de maintien de la
paix et la Division de la promotion de la femme (Département des affaires économiques et sociales).


Bien que les femmes ne participent en général pas aux combats, 80 % environ des réfugiés et des personnes déplacées dans leur propre pays sont des femmes et des enfants, ont noté les représentants d'ONG. Certains ont présenté au Conseil de sécurité de sinistres exemples d'actes de violence subis par les femmes dans les camps de réfugiés quand elles n'occupent pas des positions clefs en matière de prise de décisions et que les milices ne sont pas désarmées. Ils ont cité de nombreux crimes de guerre commis contre des femmes et des fillettes, y compris le recours au viol pour briser la résistance morale des communautés et l'enlèvement de fillettes par des troupes qui les réduisent à l'esclavage sexuel.

Plusieurs intervenants ont indiqué que les casques bleus ont parfois aussi commis des viols ou exploité des prostituées. Le groupe de travail des ONG sur les femmes et la paix et la sécurité internationales a invité le Conseil de sécurité à exiger que les casques bleus aient à rendre compte de leurs actes et que le Secrétaire général prenne des mesures pour garantir que tout le personnel participant au maintien et à la consolidation de la paix reçoive une formation appropriée portant sur la protection, le respect des droits et les spécificités des femmes et des fillettes.

L'Ambassadeur du Rwanda, Joseph Mutaboba, a noté : "Ceux qui ont condamné des femmes au veuvage au Rwanda, au Burundi et dans les Balkans et ceux qui les ont violées et ont été à l'origine ... de grossesses non désirées et de nouveaux cas de séropositivité sont encore en liberté et continuent leurs méfaits." Il a été l'un des nombreux intervenants à souligner la nécessité de veiller à ce que les criminels de guerre ne demeurent pas impunis.

*******

Source: Africa Relance

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire