lundi 6 février 2012

En Afrique, le sida a souvent un visage de femme

Afrique Renouveau Hors-Série Femmes

Savoirs, pouvoir et ressources sont nécessaires pour combattre ce fléau

Testing a patient at an HIV clinic in Soweto, South Africa.Test du sida dans une clinique de Soweto en Afrique du sud.
Photo: Africa Media Online / South Photographs / John Robinson

Nomasonto Masango et ses camarades s’amusent à dresser la longue liste des choses qu’elles souhaitent obtenir de leurs petits amis. « Si ton petit ami est plus âgé, il peut t’acheter des tas de choses, et c’est agréable de montrer ces choses là à tes amies », dit la jeune écolière. Les téléphones portables, les bijoux et les vêtements à la mode font partie des articles les plus prisés. Mais il peut également s’agir de choses aussi simples que des fournitures scolaires, de la nourriture et des boissons gazeuses.

Nomasonto semble ignorer le danger qu’elle court avec un homme aisé et plus âgé. Selon une étude réalisée à Vulindlela, son village, elle a six fois plus de chances de contracter le VIH avec un homme de plus de 24 ans qu’avec un garçon de son âge.

En Afrique australe, le taux d’infection chez les jeunes femmes est dramatiquement élevé. Dans le village de Nomasonto, plus de la moitié des jeunes femmes de 20 à 24 ans sont déjà porteuses du virus. Parmi les hommes du même âge, moins d’un tiers sont contaminés.

Dans le monde, le quart des nouvelles infections concerne les femmes de 15 à 24 ans. La majorité vit en Afrique subsaharienne. Dans cette région, sur 10 personnes infectées, six sont des femmes. En Afrique, le sida reste la première cause de mortalité chez les femmes en âge de procréer.

Le VIH est un fardeau qui pèse de tout son poids sur les pays d’Afrique australe (au Swaziland, un quart des adultes sont contaminés), alors que le risque s’atténue en Afrique centrale et orientale et qu’il est relativement faible en Afrique de l’Ouest.

Les femmes sont les victimes les plus affectées dans la lutte contre le VIH. Que ce soit sur le plan biologique, social, culturel ou économique, les facteurs se conjuguent pour les rendre bien plus vulnérables que les hommes.

Au niveau physiologique, pour diverses raisons, elles sont quatre fois plus vulnérables au VIH que leurs homologues masculins : le liquide séminal infecté demeure un certain temps dans le col utérin ; une grande superficie au niveau du vagin et du col utérin est exposée au virus ; et les membranes vaginales sont davantage sujettes à de petites déchirures pendant l’acte sexuel. Le col utérin des jeunes femmes est d’autant plus vulnérable lors de leurs premières relations sexuelles.

Pour les femmes, les rapports sexuels non protégés représentent un risque majeur de transmission de la maladie. Diverses études indiquent que beaucoup de femmes sont incapables de pratiquer l’abstinence sexuelle, de s’assurer de la fidélité de leur partenaire ou d’exiger l’utilisation de préservatifs.

La Campagne mondiale pour les microbicides (CMM), une organisation de la société civile basée aux États-Unis intervenant dans plusieurs pays africains, estime que les messages de prévention du VIH préconisant « l’abstinence, la monogamie mutuelle et l’utilisation de préservatifs » sont « peu pertinents pour la majorité des femmes exposées ; et encore moins pour les femmes pauvres. »

« Malgré tous nos efforts, il y a encore des millions de femmes qui ne peuvent appliquer aucune des stratégies de prévention actuelles » déclare la CMM. « Par conséquent, le taux d’infection chez les femmes et les adolescentes ne cesse de croître. » L’organisation prône le développement d’un gel vaginal contre le sida (microbicide).

Dans de nombreux pays africains, notamment dans les pays où la population a été déplacée par la guerre, les femmes sont très vulnérables à la violence sexuelle et aux « transactions sexuelles », à savoir l’échange de faveurs sexuelles contre des biens. Même dans les pays en paix, comme l’Afrique du Sud, la notion commune voulant que la virilité soit synonyme de domination sexuelle est à l’origine d’un taux élevé de rapports sexuels forcés. Selon une étude, 40% des femmes sud-africaines sont victimes de violences sexuelles avant l’âge de 19 ans.

Le piège de l’abstinence

De nombreuses Africaines sont néanmoins contaminées alors qu’elles sont mariées ou entretiennent une relation stable. Une étude menée au Kenya et en Zambie révèle que les femmes mariées de moins de 20 ans affichent un taux d’infection supérieur aux célibataires. Principalement parce qu’elles ont épousé un homme plus âgé.

Mais ce problème n’affecte pas exclusivement les jeunes femmes. Pour beaucoup d’Africaines, le simple fait d’être mariée constitue un risque.

Beatrice Were, une militante ougandaise dans la lutte contre la maladie, était vierge lorsqu’elle s’est mariée. Mais, peu après la mort de son époux, elle a appris que celui-ci l’avait contaminée. « Je me suis abstenue et lui suis restée fidèle, mais au bout du compte c’était inutile, » explique-t-elle. « Je me suis retrouvée veuve à 22 ans, avec deux bébés, plongée dans une amertume qui a mis des années à se dissiper. »

Mme Were a été l’une des premières personnes à afficher son statut de séropositive. En 1993, elle a fondé la National Community of Women Living with AIDS (NACWOLA), une des premières organisations du continent pour la défense des femmes porteuses du VIH.

En faisant campagne pour le traitement de la transmission du virus de la mère à l’enfant et pour l’accès aux médicaments antirétroviraux, tout en soutenant et réconfortant quelque 40 000 femmes, la NACWOLA de Mme Were a été l’un des groupes de pression les plus influents en matière d’assistance aux femmes séropositives.

La Treatment Action Campaign d’Afrique du Sud (TAC) est sans doute l’une des organisations mondiales les plus efficaces dans le militantisme du VIH. Bien qu’elle n’apporte pas son aide qu’aux femmes, la TAC a réalisé plusieurs campagnes destinées à leur donner un meilleur accès au traitement. En 2001, elle saisit la justice avec succès obligeant ainsi le Gouvernement sud-africain à lancer une campagne nationale de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant. Elle a également fait campagne sans relâche pour l’accès aux médicaments antirétroviraux (ARV), y compris pour les ARV génériques bon marché.

Plus récemment, la TAC s’est orientée vers le lobbying du système de santé publique sud-africain afin que soit mise en place une campagne de vaccination contre le virus du papillome humain (VPH), qui provoque le cancer du col utérin. Cancer que les femmes séropositives sont bien plus susceptibles de contracter.

L’Afrique compte des dizaines d'organisations qui militent contre le sida, pour la plupart dirigées par des personnes porteuses du VIH. Mais beaucoup d’entre elles souffrent de graves restrictions budgétaires car les financements de bailleurs de fonds s’épuisent.

La première dame du Rwanda, Jeannette Kagame, veille à ce que l’Organisation des premières dames d’Afrique s’emploie activement à exercer des pressions et à récolter des fonds pour les programmes de lutte contre le VIH, et notamment pour les femmes porteuses du virus.

A lab worker tests blood for HIV in the Democratic Republic of the Congo.Échantillon sanguin soumis au test du sida dans un laboratoire en République Démocratique du Congo.
Photo: Panos / Sven Torfinn

Savoir et pouvoir

Il a fallu du temps aux décideurs politiques pour prendre conscience que les femmes n’avaient pas uniquement besoin des connaissances pour se protéger du VIH, mais que dans la plupart des cas, elles ont aussi besoin de pouvoir exiger des hommes l’utilisation de préservatifs.

En juin 2011, lors de la Réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le sida, les États Membres se sont engagés à éliminer les inégalités fondées sur le sexe ainsi que la maltraitance et la violence sexistes. Ils ont décidé de renforcer la capacité des femmes et des adolescentes de se protéger du risque d’infection par le VIH en leur fournissant des soins et des services de santé ; de veiller à ce que les femmes puissent exercer leur droit de décider librement et d’une manière responsable de toutes les questions relatives à leur sexualité afin d’être mieux à même de se protéger contre l’infection par le VIH, libres de toute contrainte, discrimination et violence. Les États ont aussi décidé de prendre toutes les mesures nécessaires pour créer une atmosphère favorable à l’autonomisation des femmes et au renforcement de leur indépendance économique.

Toutefois, au moment où l’on prête enfin attention au rôle majeur que jouent les inégalités fondées sur le sexe dans la propagation du VIH, la lutte contre le virus est de plus en plus menacée par le manque de fonds. En Afrique, les financements de bailleurs de fonds ont culminé en 2008, mais les contributions sont actuellement en baisse à cause de la récession économique mondiale.

Depuis 2008, le Plan d'urgence du Président des États-Unis pour la lutte contre le sida (PEPFAR) diminue ses affectations de fonds. Il tente de transférer la responsabilité du traitement aux gouvernements des pays récipiendaires. En conséquence, l’Ouganda a signalé que depuis l’année dernière il devait rationner la distribution d’antirétroviraux pour les nouveaux malades faute de moyens. D’autres pays ont restreint l’accès aux traitements tandis que la pénurie d’antirétroviraux s’aggrave.

En septembre, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a annoncé qu’il était confronté à des « restrictions de ressources », et qu’il « révisait à la baisse » les subventions allouées aux pays dans le besoin. Certaines de ses allocations ne pourraient être disponibles qu’à la fin 2013.

Dans l’état actuel des choses, seulement quatre Africains sur dix nécessitant des médicaments antirétroviraux y ont accès. Seule la moitié des mères africaines séropositives au VIH reçoivent le traitement antirétroviral prévenant la transmission du virus au bébé au moment de la grossesse et de la naissance.

Plutôt que de voir les financements diminuer, l’action mondiale contre le VIH/sida « a besoin d’un soutien plus conséquent » explique le Dr Peter Mugyenyi, Directeur du Joint Clinical Research Centre à Kampala, le centre médical le plus important de traitement antirétroviral en Ouganda. Avis partagé par ONU-Femmes, qui insiste sur « le besoin de ressources supplémentaires » et sur « la nécessité pour les programmes et les stratégies de cibler spécifiquement les femmes. » Car pour elles, en Afrique, il s’agit d’une question de vie ou de mort.       

Kerry Cullinan est directeur de rédaction à Health-e News Service, basé en Afrique du Sud.



Source : "Afrique Renouveau, ONU".

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