samedi 4 février 2012

Aissata Tounkara ou la revalorisation des richesses culturelles africaines

Rendez-vous au cœur de Paris, Châtelet-les-Halles, au Forum des Halles plus précisément, montez au troisième étage (niveau -1). Enfin arrivé à l’espace Créateurs vous trouverez la boutique So&So – Eth(n)ik Concept Store. Ouverte en 2007 par Aïssata Tounkara, So&So propose une diversité de produits éthiques, ethniques et équitables, aussi bien des articles de prêt-à-porter, des bijoux et autres accessoires de mode, que des produits cosmétiques naturels. Ce qui fait le succès de ce concept, c’est que chaque article porte la signature d’un créateur en particulier et se vend en pièce unique ou en série très limitée.

Terangaweb : Bonjour Aïssata. Pouvez-vous nous raconter brièvement votre parcours ?

A.T. : Je suis Malienne née en France, j’ai 34 ans, et j’ai grandi à Argenteuil où je vis toujours. Je porte un intérêt pour le milieu artistique depuis l’adolescence. A cette époque, je pratiquais beaucoup la danse hip-hop. J’ai toujours eu un attrait pour ce qui était différent et je visitais différents salons et ventes privées liés à la musique et aux créations africaines. C’est de cette façon que j’ai pu rencontrer d’autres personnes qui critiquaient, tout comme moi, le vide qui existait autour de cette culture. Concernant mon parcours scolaire et professionnel, j’ai passé un Bac Comptabilité-Gestion, puis je me suis dirigée vers l’expertise comptable que j’ai abandonnée au bout de deux ans. Après deux ans de vie active, j’ai décidé de reprendre les études pour obtenir un BTS Audiovisuel Gestion de Production. De là, j’ai travaillé pour un label de musique indépendant, Africa Productions (édition de supports audio-visuels). Cette expérience m’a permis d’accompagner des groupes en tournée, d’organiser des tournages de clips vidéo et de travailler dans la distribution. Par la suite, l’industrie du disque à connu une crise, notamment due au piratage. Par conséquent, le label a du opérer des licenciements économiques. Cela a été pour moi l’occasion de travailler sur un projet personnel.

J’ai en effet voulu créer mon entreprise car, après avoir gérer les projets d’autres personnes, je souhaitais fortement proposer ma propre vision. Après plusieurs voyages en Afrique, aux Etats-Unis, etc., et après avoir remporté le prix Talents des Cités (2006), j’ai suivi quelques formations sur la création d’entreprise puis je me suis lancée dans l’ouverture de mon magasin. En 2007, j’ai saisi l’opportunité que représentaient les locaux de l’espace Créateurs du forum des Halles et l’aventure So&So a vraiment commençé. Cinq ans après, l’affaire marche toujours, ce qui m’a valu en 2011 le Prix Amakpa qui récompense les acteurs des diversités Afros en France.

Terangaweb : Pouvez-vous nous expliquer le concept de So&So, boutique Ethique, Ethnique et Equitable ?

A.T. : Il faut que mes produits répondent à au moins une des trois valeurs. « Ethique » signifie que nous privilégions les circuits courts et que nous travaillons directement avec l’artisan ou le producteur. Ainsi nous encourageons la revalorisation des savoir-faire traditionnels et des travaux qui sont peu visibles voir méconnus du grand public. Il s’agit aussi bien de travailler avec des acteurs à l’étranger que des créateurs de proximité. Nous participons également ici en France à l’insertion professionnelle via nos partenariats avec des associations telles que Femmes Actives. Aussi, nous proposons un certain nombre de produits made in France.« Ethnique » veut dire que nous mettons l’accent sur des produits avec une culture et des origines diverses (Afrique, Asie, Amériques), bien que l’Afrique, et plus précisément l’Afrique de l’Ouest occupe une place très importante du fait de mes origines personnelles qui facilitent mes échanges avec cette région. Enfin, « Equitable » fait davantage référence aux produits « bien-être » que nous vendons. Ils sont souvent labellisés Commerce Equitable, Max Havelaar, et/ou Bio ; l’objectif étant de développer des filières dans les pays du Sud en encourageant la transformation sur place et permettre aux paysans d’être acteurs de leur propre développement.

Terangaweb : So&So offre une visibilité aux créateurs et à la mode Africaine. Cette visibilité traduit-elle l’émergence voire l’explosion de ce secteur en Afrique ?

A.T. : Il y a toujours eu des créateurs Africains mais ils sont peu reconnus à l’international. En Afrique, le secteur de la mode est délicat à aborder car le prêt-à-porter existe différemment. Tout le monde a un tailleur au coin de la rue et tout le monde commande des vêtements sur-mesure. Ainsi chaque couturier est en quelque sorte un créateur de prêt-à-porter. Aujourd’hui, les créateurs y sont beaucoup plus nombreux cependant, et les choses changent. D’ailleurs, en Europe, de plus en plus de créateurs utilisent des tissus à motifs africains dans leurs créations, ou s’en inspirent fortement. En ce qui me concerne, je ne suis pas intéressée par le luxe ni par la haute couture, car cela impliquerait de vendre une autre vision du monde qui n’est pas la mienne, c’est-à-dire vendre moins de créations à des prix très élevés. Ce n’est pas cela qui fait vivre une industrie et qui favorise l’emploi. Pour ma part, je préfère faire plus de volume, satisfaire plus de personnes, et partant, créer plus d’emplois. De plus, ma boutique est située au centre de Paris, donc ce sont les métros et les RER qui desservent le centre commercial de Châtelet-les-Halles. Une bonne partie de ma clientèle vient de banlieue parisienne et utilise ces transports en commun pour venir. Par conséquent, je m’adapte au public, ce qui signifie que les prix chez So&So sont dans l’ensemble abordables. Avec So&So c’est au monde que je m’adresse et non pas à une groupe spécifique dit « élitiste ».

Terangaweb : Vos produits démontrent bien le fait que l’Afrique a gardé, dans un contexte de mondialisation, son identité et une culture forte, lesquelles s’expriment à travers les arts et la mode notamment. La marque « So&So by » que vous avez créé est à l’image de cette culture et on y observe diverses influences. L’objectif était-il de montrer votre métissage culturel ?

A.T. : « So&So by » est effectivement une marque que je développe et dont le but est avant tout d’impliquer un grand nombre de créateurs. Il s’agit surtout de collaborations artistiques et chaque création porte ainsi une co-signature « So&So by… ». So&So tend aussi à se développer et j’envisage d’ouvrir d’autres points de vente. Parallèlement, je développe ma propre marque, sous le nom d’InitiƐ (initié), qui est une invitation à mieux se connaitre. Ce qui m’intéresse, c’est le retour vers mes racines. Selon moi, nous devons davantage travailler sur nos cultures ancestrales, d’autant plus que nous avons cette liberté de créer. Aussi, je préfère travailler avec des tissus originaires d’Afrique, faits à la main et teintés avec de la terre (bogolan) ou des végétaux (indigo). Il faut valoriser nos matières premières qui se vendent très bien par ailleurs. Ce qu’il manque, c’est l’ouverture et les débouchés commerciaux. C’est pourquoi, ma boutique située en plein centre commercial a aussi pour vocation de distribuer ces tissus de représentation africaine (wax).

Terangaweb : En Afrique, l’industrie et surtout les réseaux sont très peu développés dans le sens où on l’entend en Occident. Comment contournez-vous cet obstacle ?

A.T. : En réalité, je travaille mon réseau directement lors de mes voyages en Afrique et très peu à distance. Lorsqu’un artisan fait quelque chose qui me plait, je lui en commande un nombre précis adapté à ma clientèle, mais je travaille surtout à nouer les relations commerciales avec l’individu ou la structure économique (coopérative par exemple) sur le long terme. J’ai d’autre part le projet de créer un atelier-boutique en Afrique avec une adaptation locale de So&So Concept Store.

Terangaweb : Vous proposez également des produits cosmétiques naturels. Serait-ce pour valoriser la beauté au naturel ?

A.T. : Oui et je dirais la beauté dans toutes sa diversité. La beauté va souvent de pair avec la femme. Concernant la beauté de la femme noire, les canons ont évolués, la femme noire a trop longtemps été dénaturée et il s’agit là d’une aliénation culturelle. Les effets de modes entrent aussi en jeu. J’ai moi-même tout vécu : tissages, défrisages, décolorations, etc. Ensuite, lorsque l’on murit, on se demande ce que l’on souhaite laisser derrière soi. Car c’est chacun de nous qui faisons l’Histoire et cela prend en compte la culture, l’aspect physique et la spiritualité. Je me penche sur cette problématique parce qu’elle fait partie de mes vibrations personnelles, ce n’est pas qu’un business. Je ne souhaite pas imposer un modèle de beauté particulier, mais je suis force de proposition. C’est pourquoi j’ai ouvert The Corner « Beauté & Bien-être au naturel » (tresses, locks, cosmétiques et ateliers), pour que les personnes puissent trouver des produits et des conseils sains, leur permettre d’être belles de façon naturelle. Pour conclure, je dirais que je m’inscris dans cet élan de revalorisation de soi car nous devons chacun prendre notre place à l’échelle planétaire.

Interview réalisée par Awa Sacko

Pour plus d’informations, rendez-vous sur :

- le site web : www.soandso-store.com

Lu sur terangaweb

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