Rokhaya Diallo © Sylvain Laporte, tous droits réservés.
Rokhaya Diallo semble peiner à définir laquelle de ses multiples activités prime sur les autres. Productrice de dessins animés ou chroniqueuse pour la radio et la télé? Activiste féministe et altermondialiste ou militante antiraciste? Au fond, la jeune femme de 33 ans dit ne pas vouloir choisir. Il n’empêche, c’est ce dernier volet de ses activités qui l’a révélée au grand public.
Elle s’engage dans le militantisme avec la foi des nouveaux convertis, avec passion et enthousiasme. D’abord chez les altermondialistes d’Attac, puis avec l’association féministe Mix-Cité, un mouvement mixte pour l’égalité de sexes. Elle s’investit aussi au sein du Conseil des jeunes de la Courneuve, en banlieue parisienne, une ville qui l’a vue grandir, après sa naissance dans le IVe arrondissement de la capitale française.
Un autre point de vue
Un engagement citoyen finalement presque ordinaire, pour celle qui apparaît aujourd’hui comme la bête noire des «néo-racistes» qui tiennent le haut du pavé dans nombre de médias français. Et c’est d’ailleurs pour leur opposer un autre son de cloche que Rokhaya Diallo et un groupe d’amis fondent en 2006 l’association Les Indivisibles:
«Le traitement politique et médiatique de l’affaire du foulard entre 2003 et 2004 et de la révolte des banlieues en 2005 m’a mise hors de moi. J’ai réalisé à ce moment qu’il était urgent de riposter et de se battre pour faire entendre un autre point de vue», lance la jeune femme.
Dès lors, le but des Indivisibles est de servir d’espace de vigilance et d’outil de riposte à toutes les dérives racistes, par le biais du Net. Rokhaya et sa bande de copains cherchent, eux aussi, à occuper l’espace médiatique pour «que cesse la partition de la nationalité française selon une apparence géographique».
Et c’est justement à travers les médias, à la télé précisément, que Rokhaya Diallo va faire parler d’elle. Après des premiers débats dès 2005 sur Public Sénat, la chaîne parlementaire française, pendant les émeutes des banlieues, la militante se fait connaître grâce à ses joutes verbales avec certains polémistes bien connus en France, comme les journalistes Eric Zemmour, Elisabeth Lévy ou encore Robert Ménard.
La jeune activiste n’hésite pas à foncer bille en tête pour renvoyer ses interlocuteurs dans les cordes, et pense que ceux-ci se sont délibérément fait une spécialité de verser dans la provocation.
«Ce qui me pose problème, c’est que certaines personnes parmi les plus médiatisées instrumentalisent le racisme pour faire carrière», relève-t-elle en évoquant un débat télévisé qui l’a opposée à Zemmour en mars 2010, et au cours duquel ce dernier avait affirmé qu'en France «la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes» —propos pour lesquels il a du reste été condamné par la justice.
L'humour comme antidote
Et c’est l’une des premières grandes satisfactions de Rokhaya dans son combat contre les dérives racistes dans la société française, ainsi que contre toutes les formes de discrimination. Une satisfaction qui s’ajoute à la visibilité que prend, depuis 2009, la cérémonie des Y'a Bon Awards, une cérémonie organisée depuis trois ans par Les Indivisibles pour «distinguer» les propos les plus racistes.
Car le parti pris de l'association, c’est d’utiliser l’humour comme stratégie de défense et de riposte:
«L’humour aide à rendre les choses audibles. Et finalement, cela correspond peut-être à notre génération et à notre époque. C’est peut-être aussi ce qui fait notre différence avec des associations plus anciennes comme SOS Racisme.»
Une différence qu’elle tient d’ailleurs à souligner. Autant elle traque pour les dénoncer à la radio et à la télévision (elle est notamment chroniqueuse à Canal+) les grandes dérives racistes, autant elle s’attaque avec fermeté à toutes les formes de racisme que l’on retrouve bien souvent dans les préjugés, les blagues ou même dans les compliments que l’on adresse aux noirs en pensant bien faire, et qui ne relèvent pourtant, selon elle, que d’un racisme inconscient.
C’est ce «racisme atmosphérique» que la jeune femme décrit avec humour dans son récent ouvrage, Racisme: mode d’emploi (Larousse, 2011).
«Dans les soirées, lorsque le DJ a la bonne idée de lancer de la musique à consonance africaine ou antillaise, certains regards se tournent vers moi attendant sans doute que je revête ma ceinture de bananes pour me déhancher», écrit-elle.
Une manière de décortiquer, encore une fois, les mécaniques du racisme ordinaire par le biais de l’humour. La cofondatrice des Indivisibles n’hésite pas à s’exprimer de manière familière:
«Le débat sur le foulard me soûle. Je trouve qu’il y a une forme d’hystérie à ce sujet.» Ou encore: «Ce n’est pas un kiff que de militer. Le militantisme antiraciste professionnel, je pourrais m’en passer…»
Elle combat le racisme, mais dit n’en avoir jamais été victime:
«Je n’ai jamais été traitée de "sale noire" [...] Le fait que je sois noire n’est pas un élément qui prime sur le reste. Quand je me lève le matin, je ne me détermine pas rapport à ça.»
Petites ambiguïtés
Rokhaya Diallo revendique sa «francité», mais clame tout son attachement au Sénégal, dont sont originaires ses parents. Elle a d’ailleurs le projet de demander la nationalité sénégalaise «pour résister à tout le débat sur la binationalité en France». Elle n'était pas allée à Dakar depuis ses 15-16 ans, mais y est retournée en décembre 2010, à l’occasion du Festival mondial des Arts nègres.
Elle dit comprendre le wolof (la langue la plus parlée au Sénégal), même si elle n'a jamais appris à le parler. «Je me suis toujours senti des liens avec l’Afrique», affirme-t-elle. Et d’évoquer l’œuvre du cinéaste Sembène Ousmane ou de la romancière et essayiste malienne Aminata Traoré.
Rokhaya Diallo surprend aussi quand, au cours de la conversation, elle lâche le mot «intégration»:
«Mes parents nous ont donné, à mon frère et moi, des outils pour nous "intégrer" comme des petits Français». Avant de préciser, en pesant les mots, qu’elle utilise ce terme du point de vue de ses parents, «primo-arrivants en France à l’époque, et qui estimaient qu’il y avait un nécessaire processus d’intégration. Ils ont changé d’avis depuis le temps».
De ses parents, venus de Gambie et du Sénégal, la jeune Rokhaya dit avoir retenu un principe qui guide son engagement aujourd’hui:
«Ne jamais se laisser faire.»
Un principe qui lui sert donc dans ses actions militantes mais aussi lors de débats avec des grosses pointures de la politique comme Henri Guaino, conseiller politique du président français Nicolas Sarkozy.
C’est peut-être aussi ce qui la pousse à cosigner, en juin 2010, dans le quotidien français Libération, une tribune dans laquelle elle apporte son soutien à cinq jeunes de banlieue accusés d’avoir tiré sur des policiers. Le texte, d’une rare violence, est vivement critiqué.
C’est peut-être, enfin, ce principe qui la pousse à rejeter le terme de «diversité», de plus en plus utilisé dans l'Hexagone pour évoquer les Français d’origine étrangère:
«Je n’aime pas ce mot, parce qu’il ne veut rien dire. On a l’impression que c’est d’un pays étranger qu’on parle quand on évoque la diversité. Alors qu'en principe, tout le monde devrait y être inclus.»
Raoul Mbog
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