L’activisme des femmes noires, non seulement dans la société brésilienne, mais dans toute l’histoire de la diaspora, dépasse les démarcations historiques imposées par les données qui marquent le début du féminisme dans le monde. Bien longtemps avant, les femmes noires étaient la principale force de travail qui impulsait la croissance du Brésil comme nation. De Dandara à Luiza Mahin et de Carolina Maria de Jesus à Benedita da Silva, l’histoire des femmes noires est marquée par la lutte, le militantisme et par la bravoure nécessaires pour affronter très souvent les triples journées et souffrir doublement de la discrimination.
Au cours de l’histoire ont été créées des organisations de femmes noires aux caractéristiques les plus diverses, ayant pour but de soutenir ces femmes dans les batailles du quotidien et partager des expériences pouvant servir pour motiver la poursuite de la lutte.
Parmi ces organisations, on retrouve l’ONG carioca Criola, qui depuis deux décennies agit dans la formation des femmes noires, pour qu’elles deviennent des agents de transformation de la société, par des actions tournant autour de la santé, l’économie, le travail, les droits humaines, l’action politique et l’articulation avec des mouvements sociaux entre autres.
Jurema Werneck est la coordonnatrice générale et l’une des fondatrices de Criola, et elle considère l’activisme comme quelque chose de latent chez les femmes noires brésiliennes et indique– comme point de départ de la lutte de ces femmes l’exemple transmis par les Ialodês, orixas féminines, toujours représentées dans la mythologie africaine par des personnalités fortes et par l’autonomie marquées significativement par la façon dont elles imposent leur volonté aux orixas masculins faisant partie du panthéon.
Dans une entrevue exclusive accordée à afrobrasnews, Jurema Werneck évoque la lutte des femmes noires, les conquêtes déjà réalisées et les obstacles qu'il reste encore à affronter dans cette épopée pour la survie.
afrobrasnews - Criola existe depuis près de deux décennies, quels sont les besoins qui ont motivé la création de l’institution et quel fut le processus ayant mené à la concrétisation du projet?
Jurema Werneck – Premièrement, le besoin de donner de la continuité à un héritage des femmes noires, qui fait référence à l’action politique – nous sommes actives et activistes depuis toujours. Criola est une manière de faire avancer cet héritage. Deuxièmement, la certitude que le racisme patriarcal a un fonctionnement différencié selon le sexe et l’identité de genre des personnes. Ainsi, une fois que les femmes, les hommes, les lesbiennes, les homosexuels et les transsexuels vivent le racisme de manière différente, il faut donner de la visibilité à ses différents mécanismes aussi bien que les différentes manières d’y faire face nécessaires. Tout en discernant la nécessité urgente de rendre explicite notre rejet et notre condamnation des options violemment sexistes en cours dans notre société en général et à l’intérieur des communautés noires, qui cherchent à anéantir notre puissance et notre capacité d’action.
afrobrasnews - En cette période, quelles sont les avancées que vous observez dans la lutte des femmes noires au Brésil et qu’est ce qui reste à conquérir?
Jurema Werneck – Cela fait 19 ans d’existence. Le monde ne change pas si rapidement. Mais on peut percevoir de nouveaux positionnements, de nouvelles conditions de lutte et de participation dans la société brésilienne. Un exemple fort, ce sont les nouvelles intellectuelles noires: une conquête de la lutte. Nous qui avons commencé dans les années 80 ou 90 avions de grandes références intellectuelles noires, mais elles étaient peu nombreuses. Je parle des femmes comme Lélia Gonzáles, Beatriz Nascimento et d’autres rares, qui ont mis leur pensée, leur talent, leur vision du monde en soutien de nos luttes de transformation. Aujourd’hui, nous sommes un nombre beaucoup plus important d’intellectuelles – j’espère qu’elles répondent présentes et qu’elles perçoivent l’ampleur de leur responsabilité.
On peut également vérifier que, même si le sexisme reste en vigueur, la visibilité des femmes noires en lutte qui parlent en leur propre nom n’est pas tellement extraordinaire dans la société.
afrobrasnews - À Criola, vous développez des projets dans divers domaines. Quel est le profil des femmes que l’institution recherche et quels types d’activités sont mises en place?
Jurema Werneck – Notre travail est un travail de femmes noires pour les femmes noires. Ainsi, les profils sont semblables à ceux que nous avons : scolarités diverses, différentes tranches de revenu, différentes possibilités de lutte, différents degrés d’expérience des violences du racisme patriarcal. Notre tâche est de leur proposer de nouvelles stratégies d’action, partager les informations et les connaissances et agir ensemble dans les combats qui sont nécessaires.
afrobrasnews – Selon vous, quelles sont les politiques publiques qui touchent les questions de genre, particulièrement en ce qui concerne les femmes noires au Brésil, et lesquelles le gouvernement doit-il encore élaborer?
Jurema Werneck – Malgré cet activisme fort de Criola dans le domaine de la défense et de l’analyse des politiques publiques des différentes sphères (municipales, des états et nationales), il n y a pas encore une quelconque politique effective et consistante ayant les femmes noires comme priorité. Cela donne la mesure du chemin que nous devons encore parcourir et de l’ampleur de la dette que le Brésil a envers nous - particulièrement si l’on considère que depuis 9 ans, nous avons des gouvernements nationaux de gauche, qui ont eu des femmes noires à leurs premiers rangs! Il faut que ces gouvernements, administrateurs de la richesse produite en grande partie par nous, les femmes noires, nous rendent ce qui nous appartient de droit – sous la forme de politiques d’éducation, de santé, de travail et d’embauche, d’habitat, de transport etc – avec la vigueur nécessaire pour éliminer les disparités qui existent au Brésil entre les femmes noires et les femmes blanches. Et, principalement, mettre fin au privilège des hommes blancs dans l’appropriation des richesses nationales. C’est pour cela, et j’insiste, que ces gouvernements ont reçu de nouveaux votes.
afrobrasnews – Croyez-vous que le fait que la présidence du Brésil soit occupée par une femme peut pousser à la création de ces politiques?
Jurema Werneck – Je pense que le fait que nous ayons une femme comme Présidente est une conséquence de notre lutte – et qui lui donne une responsabilité dont elle ne peut se défaire de faire valoir l’héritage et le mandat qu’elle a reçu. Mais pour cela, il faut, au-delà du fait d’être une femme, être disposée à rompre avec le racisme patriarcal et faire tomber tout le réseau de privilèges qu’il rend disponible à tous ceux qui sont blancs, y compris cette femme qui est à la présidence. Il faut également que nous les femmes noires nous nous positionnions dans les luttes pour nos droits de manière consistante, en récusant les cooptations et en cherchant de nouvelles stratégies pour réaliser les progrès nécessaires pour un réel changement.
Par: Daniela Gomes
Traduit du Portugais par Guy Everard Mbarga http://guyzoducamer.afrikblog.com/
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