Interview avec Agnès Soucat, directrice du Département du développement humain, à la BAD
« La BAD accorde à présent la priorité au développement des compétences et des capacités de haut niveau surtout dans les domaines scientifiques et technologiques, afin de permettre aux pays africains d’atteindre progressivement l’économie du savoir, d’accroître leur compétitivité, de promouvoir ainsi la croissance et de lutter contre la pauvreté, en mettant un accent particulier sur la participation des femmes. » a souligné Agnès Soucat, à l’occasion de la célébration du centenaire de la Journée internationale des femmes.
Question : Cette année la Journée internationale de la femme a célébré ses 100 ans. Le thème est « Egalite d’accès à l’éducation, à la formation, à la science et à la technologie : vers un travail décent pour les femmes »
De votre point de vue, quelle est la contribution de la Banque africaine de développement (BAD) dans ce domaine sur le continent africain ?
Réponse : La Banque africaine de développement accorde une grande importance à l’égalité d'accès à l'éducation, à la formation, à la science et à la technologie, avec la conviction que cela constitue un facteur essentiel de progrès économique et social, ainsi que de réduction des inégalités entre les sexes.
Pour orienter ses actions en vue d’accroître l’égalité des chances dans tous les secteurs, la Banque a élaboré et adopté, en 2001, sa politique du genre, qui est mise en œuvre à travers des plans d’action. Le plan d’action sur le genre actualisé de 2009-2011 met l’accent sur le renforcement des capacités des femmes. Ce cadre de référence ainsi que les profils Genre par pays que nous réalisons dans les pays membres régionaux (PMR), ainsi que les listes de vérification (check-lists) nous offrent aussi un cadre conceptuel et pratique pour nos interventions. Dans le domaine particulier de l’éducation, nous disposons d’une politique adoptée en 1986 et d’une stratégie pour l’enseignement supérieur, la science et la technologie, adoptée en 2008, sur lesquelles se fondent nos interventions dans les pays membres.
Ainsi, depuis sa création, l’appui de la BAD aux pays membres dans le secteur de l’éducation et de la formation a suivi l’évolution des besoins de ces pays. Privilégiant au début l’éducation de base, conformément aux priorités définies dans la Stratégie à moyen terme 2008-2012 de la Banque et dans la stratégie sur l’enseignement supérieur, la science et la technologie, notre appui accorde à présent la priorité au développement des compétences et des capacités de haut niveau, surtout dans les domaines scientifiques et technologiques, afin de permettre aux pays africains d’atteindre progressivement l’économie du savoir, accroître leur compétitivité, promouvoir ainsi la croissance et lutter contre la pauvreté, en mettant un accent particulier sur la participation des femmes. Tout en visant toutes les populations de nos pays membres, nos actions tiennent compte de la situation défavorisée des filles et des femmes, dans les domaines suivants : infrastructures, formation des formateurs, développement des programmes adaptés, renforcement des partenariats entre le monde industriel et les institutions de formation et de recherche, et la création des emplois viables. Dans ce contexte, nous mettons en place, pour encourager la participation et la rétention des filles, des programmes spécifiques tels que des établissements scientifiques d’excellence au secondaire, des internats pour filles, des bourses, des aides financières et en matériel scientifique et informatique au supérieur.
Nous veillons aussi à ce que les projets dans le domaine de l’éducation adoptent une démarche d’institutionnalisation du genre (Gender mainstreaming). A cet effet, une check-list a été développée et mise à la disposition des chefs de projets éducatifs afin d’intégrer l’approche genre dans toutes les composantes des projets, à travers tous les points d’entrée.
Assurer l’égalité des chances constitue un défi permanent, et la Banque œuvre à mettre en place des conditions institutionnelles durables au niveau national et régional, en coordination avec ses pays membres, tous les partenaires bilatéraux et multilatéraux ainsi que le secteur privé. Un exemple de ces inégalités se retrouve au niveau de la participation des femmes au marché du travail qui, en Afrique, est en général de 78,3% pour les hommes et 61% pour les femmes, avec des variations régionales telles que 40% en Afrique de l’est et moins de 30% en Afrique du nord.
Question : Quelle pourraient être les stratégies viables pour permettre aux filles du continent de gagner leur vie, dans le secteur formel et informel, parle biais de l'éducation et la formation, la science et la technologie ?
Réponse : Il y a un large éventail de stratégies mises en œuvre par les partenaires au développement dans le continent, autres que la Banque. Elles ont été principalement soutenues par un réseau d'organisations telles que l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation des filles (UNGEI) et le Forum des éducatrices africaines (FAWE). Nous pensons qu’il faudra mettre un accent particulier sur la sensibilisation et la formation, afin d’accroître la participation et la rétention des filles à tous les niveaux du système éducatif formel et informel, et leur donner les capacités nécessaires pour être compétitives sur tous les plans dans le contexte moderne actuel. Les mesures volontaristes de discrimination positive en faveur des filles, telles que l’octroi de bourses d’étude, les internats pour filles, l’augmentation de femmes enseignantes, particulièrement dans les domaines scientifiques pour servir de modèle, etc. doivent être poursuivies afin de réduire les inégalités auxquelles font face les filles et les femmes africaines dans l’accès au savoir.
Les stratégies qui semblent avoir apporté des résultats tangibles dans les projets appuyés par la BAD incluent:
- Des réformes du secteur, avec l'intégration stratégique du genre dans l'éducation et une budgétisation prenant le genre en compte ;
- Des infrastructures équitables entre les genres à travers la prise en compte des besoins spécifiques des filles et des femmes au niveau des infrastructures scolaires (toilettes séparées, internats de filles, etc. ;
- Des études économiques et sectorielles (ESS) sur le genre et l’éducation dans les pays, afin de mieux comprendre les problématiques particulières sur la question genre et éducation, et définir des actions concrètes sur une base participative. Une étude a été réalisée en 2010 par le département du Développement humain (OSHD( pour analyser les résultats des projets d’éducation de la Banque concernant le genre ;
- Le développement de partenariats pour des actions conjointes avec la société civile, le secteur privé, le monde académique et les autres partenaires techniques et financiers ;
- La sensibilisation et des aides spécifiques aux filles pour encourager les orientations vers les domaines scientifiques et technologiques (industriels), dans l’enseignement secondaire et au supérieur ;
- La mise en place d’institutions d’excellence pour les filles dans les domaines scientifiques et technologiques ;
- Des politiques d’insertion des femmes et des filles dans le domaine de l’emploi.
Question : En tant que femme, que représente pour vous la Journée internationale de la femme au point de vue personnel et professionnel?
Réponse : En tant que femme, cette journée internationale de la femme m’interpelle au plan personnel et professionnel. En effet, je dois reconnaître que je fais partie des femmes privilégiées de ce monde, comparées à la moyenne des femmes africaines. Par conséquent, je me fais le devoir, autant que je le peux, tant sur le plan personnel que professionnel, de contribuer à améliorer la situation de ces femmes qui ont autant de courage, de détermination et d’imagination, sinon plus que moi, pour apporter leur contribution au développement. En témoigne la place qu’occupent les femmes africaines dans le secteur informel qui fait vivre près de 80% des populations en Afrique. Je tiens à leur rendre hommage en ce jour. Seulement, ces femmes n’ont pas voix au chapitre, et elles manquent d’informations, d’accès aux services (éducation, formation, santé, etc.) et aux moyens de production pour saisir les opportunités qui pourraient s’offrir à elles. C’est ce que j’essaie de me rappeler dans mon travail et ma vie de tous les jours, car je suis convaincue que l’avenir de l’Afrique appartient aux femmes.
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