Pouvez-vous vous présenter à nos internautes ?
Je m’appelle Eugénie Diecky, et je m’occupe depuis près d’un an de l’antenne de Paris d’Africa N°1. J’ai senti que les africains avaient le besoin et le droit de s’exprimer, et grâce à cette radio on peut faire beaucoup de choses intéressantes.
Quelles études avez-vous initialement choisies ?
J’ai toujours été fascinée par le livre. Jeune, j’étais une boulimique de livres. Enfant du divorce, c’est le livre qui m’a permis de me construire en tant que personne et femme. Le livre m’ayant toujours accompagnée je voulais vendre des livres ou ouvrir une bibliothèque, ce qui m’a amenée à faire des études de documentaliste.
Le livre marque les débuts de votre carrière professionnelle puisque vous gagnez un concours littéraire qui vous mène à la radio. Pouvez-vous nous en parler ?
J’étais étudiante en fin de 3è année quand un concours de poésie et de nouvelles a été lancé dans le quotidien Union (NDLR : quotidien gouvernemental gabonais). Je me suis jetée à l’eau et j’ai écrit « la borne fontaine » qui n’était pas une histoire d’amour, mais l’histoire d’une fontaine publique qui a été installée dans un village. Les gens ont célébré cette pompe qui devait redonner vie au village, mais ne l’ont ni utilisée ni entretenue correctement. Les gens ont commencé à tomber malades ou à mourir en buvant de son eau, et ont commencé à accuser les sorciers. Voilà la trame de l’histoire, même s’il y a bien sûr le héros, les histoires d’amour, le chef du village qui est accusé de sorcellerie, etc…
| Vous gagnez le premier prix ?
J’avais oublié avoir participé au concours quand le directeur de l’école est venu m’annoncer que j’avais gagné le prix de la meilleure nouvelle et qu’on en parlait à la radio. Un journaliste et cinéaste m’a contactée pour me proposer d’adapter mon roman à l’écran. Je lui ai donné le manuscrit dont il a apprécié l’histoire. Le film ne s’est finalement pas fait, mais cela m’a permis d’entrer par la grande porte à Africa N°1, d’autant qu’il s’est rendu compte que j’avais un talent pour l’écriture et pour dire les choses.
Vous entrez à Africa N°1, et vous estimez qu’un déclic s’est produit grâce à un reportage sur la PANA qui vous a été commandé ?
Je commence à apprendre les ficelles du métier, à m’intégrer à la radio, ce qui n’était pas évident. Je pense avoir eu la chance de ma vie quand j’interviewe un journaliste qui m’invite à faire un reportage sur la PANA. Je vais au Sénégal, que je découvre, et j’y fais beaucoup de reportages sur les femmes, les prostituées, les enfants de la rue, la PANA évidemment, et je pense l’avoir fait avec beaucoup de cœur. J’étais avide d’aller vers les gens ce qui est pour moi une clé de ce métier : il faut aimer rencontrer les gens pour apprendre à les comprendre.
| A votre retour votre hiérarchie se rend compte de votre talent, et vous propose d’animer une émission initialement hebdomadaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’émission ?
Nous étions deux à faire l’émission « L’utile et l’agréable » avec Rosalie Ngwa Mintsa qui était généticienne de formation et qui tentait d’expliquer les choses de la nature, de rendre la science accessible à tous, tandis que de mon côté j’essayais de rendre hommes et femmes accessibles à tous. Nous avons commencé en duo, mais elle est retournait au ministère auquel elle appartenait. J’ai initié à l’intérieur de l’émission « Problèmes de femme » puis « Le cœur et la plume » qui consistait à faire en sorte qu’hommes et femmes s’écrivent des lettres d’amour que je lisais à l’antenne. L’émission a également très bien marché également.
Quel bilan tirez-vous de cette émission que vous avez animée pendant 7 ans ?
C’est le terrain. J’étais assez timide et mal dans ma peau au début, cette émission m’a permis de me faire connaître, d’obtenir la confiance de mes patrons, et de me construire. Elle a également permis aux femmes africaines d’avancer.
C’était une émission plutôt féministe ?
Tout à fait. Quand une femme est battue parce qu’elle est une femme, sifflée dans la rue parce qu’elle a un derrière qui attire les regards, c’est un manque de respect à une personne, et dans ce cas je dis que je suis féministe. Chaque fois qu’il y a une injustice à l’égard d’une femme il faut la dénoncer.
| Comment la direction a accueilli ces programmes qui ne correspondaient peut-être pas tout à fait à la tendance radiophonique de l’époque ?
C’est elle qui a initié cela en disant me faire confiance et en me demandant de faire une émission pour les femmes. Je devais souffler le chaud et le froid. Sur un sujet comme l’excision par exemple, je ne devais pas me contenter de dire que c’était une mauvaise chose, mais me pencher sur les raisons historiques, culturelles ou religieuses qui l’expliquaient. Il fallait de la pédagogie : pouvoir écouter les gens qui étaient pour l’excision, sans les rejeter brutalement. C’est une émission qui m’a construite et qui a permis à beaucoup d’africaines d’accompagner le processus d’émancipation des femmes. Ecouter des femmes ministres ou chef d’entreprise a donné l’envie à plusieurs d’entre elles de le devenir.
Vous quittez la radio en 1997 pour vous mettre au service d’un ministre. Quel rôle jouiez-vous auprès de lui et quel bilan tirez-vous de votre collaboration ?
J’étais chargée de communication, je faisais donc ses revues de presse, j’allais souvent en mission avec lui dans divers pays. Etre à côté d’un ministre c’est le conseiller par rapport à son image, son discours. C’était une toute autre aventure qui m’a passionnée, mais qui m’a fait remarquer que si un fonctionnaire a la sécurité de l’emploi, ce n’est pas forcément un milieu où l’on peut rester si on veut faire avancer les choses.
| Femme dans un monde masculin ce n’était pas un problème ?
Dans ces cas-là, même si on me le rappelait souvent, j’oublie que je suis une femme même si j’ai un physique féminin. Tout est dans la manière d’être et la manière de réagir. Par exemple un sourire peut désarçonner un homme qui dit une bêtise ou faire passer un message. Je n’ai donc pas eu de difficultés particulières, tout comme à Africa n°1 où je ne me voyais pas comme une femme mais comme quelqu’un aimant son boulot, et le faisant du mieux possible.
Vous restez dans la communication en rejoignant l’Agence Internationale de la Francophonie, puis rejoignez le quotidien gouvernemental gabonais
J’étais chargée de « vendre » la politique de la Francophonie à l’échelle de l’Afrique Centrale. Nous avons organisé des distributions de livres, des manifestations pour promouvoir des cinéastes, des sculpteurs… Je suis restée deux ans à l’Agence avant de rejoindre le quotidien L’Union. C’était un retour au journalisme, mais pas en radio. Je faisais des sujets sur les rapports femmes-hommes, fille-papa, des compte-rendu de réunions ministérielles.
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| | | | | | | | | Eugénie Diecky © afrik.com | | | | |
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| Vous vous dites « féministe » donc attachée à une certaine forme de liberté, commencez dans une radio privée. N’était-ce pas s’imposer des barrières que d’aller rejoindre un quotidien gouvernemental à cette époque sachant qu’on n’y écrit pas ce que l’on veut ?
Oui bien sûr. On essaie de forcer les choses, d’expliquer que si on veut vendre le journal au plus grand nombre il faut sortir des sempiternels sujets consacrés à l’Etat. Les gens qui achètent le journal veulent savoir quel ministre est tombé, mais aussi quels crimes ont été commis la nuit, lire l’horoscope qui d’ailleurs est la rubrique la plus lue, puisque la nature humaine veut qu’on s’intéresse d’abord à soi, aux passions de tous les jours. On ne peut pas avoir un média et ne pas tenir compte du ressenti des gens, de leur moi profond qu’ils n’osent pas dire. Il faut rendre aux médias leur aspect humain, et c’est ce que j’ai tenté de faire.
Avant que je ne rejoigne Africa n°1 on m’avait confié la page femmes, dans laquelle je voulais parler de sexualité. Je voulais faire parler les femmes ministres de leurs passions, et pas seulement de leur métier.
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| | | | | | | | | Eugénie Diecky et Patrick Nguema Ndong | | | | |
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| Vous retournez à Africa n°1 où vous animez une émission avant de devenir directrice des programmes. Comment une femme fait-elle pour devenir directrice des programmes d’une radio fortement masculine ?
J’animais l’émission « Africa-vie » qui était conçue comme les deux facettes d’une pièce de monnaie. Quand une personne ne réussit pas sa vie de couple on connaît les raisons, manque de communication, infidélité, instabilité, etc... Patrick Nguema Ndong lui arrivait à expliquer que cela pouvait résulter de l’action d’esprits malfaisants ou d’ancêtres de cette personne qui n’avaient pas honoré tel ou tel pacte. C’était donc la vie « visible » avec ses problématiques quotidiennes, ainsi que la vie telle que les africains la vivent tous les jours mais dont on ne parle pas à la radio. C’était ça la nouveauté : nous osions parler de sorcellerie, de magie, de femmes ou d’hommes empoisonnant leur conjoint. Nous étions sur un terrain qui n’avait jamais été abordé de façon aussi libre. Je parlais de sexualité, je me souviens d’une femme excisée eu le courage de dire qu’elle n’éprouvait pas de plaisir, ou M. Titi Banda un journaliste que j’ai recruté, dire à un homme que si sa femme n’éprouvait pas de plaisir ce n’était pas normal et qu’il fallait qu’il trouve le moyen d’y arriver.
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| | | | | | | | | Eugénie Diecky durant une rencontre publique | | | | |
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| Vous devenez alors directrice des programmes
J’ai pu montrer que j’étais compétente, passionnée par ce que je faisais, et j’avais pas mal d’expérience derrière moi. C’était une décision de la direction de la radio, pour laquelle je n’ai pas fait de lobbying, et dont j’ai été la première surprise.
En quoi consistait votre rôle ?
Directrice des programmes c’est constituer une grille attractive. Proposer des émissions de radio qui vont intéresser les africains. Pas seulement la musique, mais aussi des émissions sur la littérature, la culture, l’histoire, des émissions de jeux. Il faut pouvoir faire en sorte qu’une belle idée couchée sur le papier puisse être rendue vivante avec la meilleure personne qui soit. Le meilleur exemple c’est Fanny Ella Assa qui est l’une des plus anciennes journalistes. Elle anime une émission de jeu, ce qui peut sembler facile avec de l’argent à faire gagner, mais elle a une courtoisie, une disponibilité par rapport aux auditeurs qui fait qu’elle est LA bonne personne pour faire cette émission. On a parfois l’impression en écoutant une émission que l’animateur est fait pour cette émission : il faut pouvoir trouver ces gens-là. J’étais donc un peu chasseuse de têtes, surtout que parfois, ces personnes n’avaient jamais imaginé avant faire de la radio un jour. Il faut donc sortir, écouter les gens.
| La deuxième étape est de construire la grille. Une émission de musique à 9h du matin par exemple ne passera pas. Pour une émission comme Kilimandjaro, quel type de musique promouvoir : la musique des jeunes en Afrique ou celle des majors ? Si on fait une émission économique, comment rendre l’économie accessible à tous ? Tout cela est un travail de longue haleine, il faut les hommes, et la volonté de faire une radio qui anticipe l’Afrique, qui soit à l’avant-garde d’une Afrique en devenir. Il faut parler des jeunes, des futurs talents, tout cela demande réflexion, conception et une vision pour l’Afrique.
Depuis 2004 vous êtes à Paris où vous êtes à en croire votre carte de visite « coordinatrice d’antenne » en même temps qu’animatrice-productrice de votre quotidienne « les matins d’Eugénie ». En fait c’est le même rôle qu’avant ?
Avez-vous des projets dont vous pouvez parler ?
J’ai plusieurs projets. J’adore Pierre Bellamare qui avait d’ailleurs été programmé à une époque sur Africa n°1. Les gens adorent quand les choses sont bien dites, quand une histoire est bien construite, bien écrite, et les met en haleine. NNNN Je me remettrai peut-être à écrire, mais je n’ai pas envie d’écrire des histoires de femmes. Le répertoire féminin c’est « mon mari m’a trompée », etc…, ce qui me barbe un peu. Je veux une histoire de femmes où la femme s’assume, ose dire ses craintes, ses espoirs. La vie d’une femme ne se résume pas à se marier ou à avoir des enfants. Certaines femmes sont désespérées parce qu’elles ne peuvent pas avoir d’enfants. Si on leur avait trouvé un autre schéma pour se construire, elles auraient pu exister en temps que personne.
On vous verra un jour en politique ?
Peut-être que oui, peut-être que non, mais c’est quelque chose qui m’attire de plus en plus. Je me rends compte qu’il y a des choses à faire concrètement sur le terrain. J’ai envie de le faire, mais pas maintenant, il faut que je me donne un peu de temps.
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