Ama Mazama, afro-caribéenne native de la Guadeloupe, a obtenu brillamment son doctorat en linguistique en 1987 à l’université Sorbonne Nouvelle. Elle est connue comme étant une fervente partisane de la philosophie de l’Afrocentricité aux côté du professeur Molefi Kete Asante avec qui elle donne cours à la Temple University aux USA, dans le premier département qui a organisé un doctorat en étude africaine. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages prônant cette position philosophique, dont « L’impératif afrocentrique » publié en 2003.
Ama Mazama définit l’Afrocentricité comme étant « une position philosophique exhortant les Africains à appréhender le monde Noir selon leur propre vécu, leurs expériences, leur perception profondément ancrée sur la culture et l’histoire africaines. Autrement dit, penser l’Afrique à travers un regard africain, dans une perspective africaine ».
En effet, depuis des siècles maintenant, l’Afrique est défini selon des concepts qui ne ressemblent pas du tout à la culture africaine car fondés sur l’expérience européenne.
Le but de l’Afrocentricité est ainsi de mettre en avant le fait que les angles de vues sont différents d’une culture à une autre (asiatique, arabe, indien, africain, etc.) et que l’Occident n’a pas le monopole. Autrement dit, il est question de pouvoir asseoir à une même table les peuples de chaque continent, et les entendre discuter sans que l’un puisse doter une seule culture d’un label de « l’Universalité ».
Dans cette optique, l’homme africain se doit donc de créer son propre système de valeurs (paradigme africain), et c’est seulement en ayant ses propres repères et ses propres idéaux ancrés en lui qu’il pourra repenser la construction du continent africain sur des bases solides. Il est question de refuser toute subordination à un mode de pensée extérieur portant insulte à notre intelligence, à notre intégrité humaine.
C’est à l’âge de 5ans, qu’Ama Mazama fit sa première rencontre avec la suprématie raciale blanche, elle s’en souvient encore. Sa maîtresse en maternelle, une métisse, classait les élèves selon leur couleur de peau : les Blancs étaient au premier rang, ensuite les métissés et ainsi de suite…les Noirs eux étaient placés tout au fond de la salle. Bien évidemment, plus vous étiez foncés, moins elle ne vous portait d’attention. La petite Ama avait choisi délibérément de se placer tout derrière avec les autres et, malgré son jeune âge, elle comprenait tout à fait qu’elle subissait une discrimination raciale.
Selon elle, tous les problèmes des Africains partent donc de cette suprématie blanche, à la base de l’esclavage et de la colonisation et qui perdure encore actuellement : « C’est comme si les Africains devaient continuellement imiter, servir les Occidentaux et vivre selon leur paradigme qui prône que l’homme Blanc est supérieur et qu’il peut, de ce fait, se permettre de donner des leçons aux autres ». L’eurocentrisme (penser le monde selon le système de pensée européen) est un véritable fléau pour les Africains car ils se retrouvent à n’exister que par rapport aux Blancs : ils adoptent leur style vestimentaire, parlent leurs langues bien mieux que les langues africaines, connaissent leurs lignées royales par cœur mais ignorent l’histoire des royaumes d’Afrique, se situent dans le temps par rapport à leur calendrier chrétien, etc… .
Ama Mazama insiste sur l’importance de l’éducation : « il ne faut pas laisser aux autres, le soin d’enseigner notre histoire, nos valeurs, notre culture africaine ; l’école occidentale a pour rôle de désafricaniser les Africains en les européanisant au maximum ». Or, ces mêmes personnes qui veulent qu’on les imite, ne nous reconnaissent pas comme étant leurs égaux. Nous ne serons jamais des Blancs, quand bien même nous nous teindrons les cheveux en blond, nous dépigmenterons la peau et parlerons le français bien mieux que Molière. Un Africain ne sera rien de plus ni de moins qu’un Africain. Cette grande dame éduque, elle-même, son fils à la maison car elle n’a pas confiance en cette éducation « nationale ».
Ama Mazama cite la religion chrétienne comme étant l’un des véhicules les plus importants de la suprématie raciale blanche. En effet, l’imposition d’un Dieu de couleur blanche amène à des conséquences graves sur l’identité des Africains, qui à cause d’elle, s’autodétruisent. Dieu ayant crée l’homme à son image, les Noirs seraient donc ni divins, ni sacrés, autrement dit, les enfants du diable ! A côté des Blancs, qui eux, bien entendu, seraient des dieux sur terre, pouvant dominer les autres races au nom du Tout-Puissant. Ainsi, en 1454, le Pape Nicolas V appela à la « guerre sainte » pour asservir les Nègres afin de révéler Dieu. Mais la raison officieuse, était bien évidemment d’aller chercher des esclaves pour travailler pour eux.
Les Africains ont du mal à s’imaginer un continent Noir ayant existé avant l’arrivée des peuples du Nord. Et pourtant, c’est le cas. Les Ancêtres africains détenaient leur propre croyance, compatible avec leur culture. A ce propos, Ama Mazama est Mambo, autrement dit, prêtresse Vaudou, initiée en Haiti. D’origine africaine, le Vaudou n’est pas une magie noire. En effet, il s’agit là d’un discours négatif que les Africains ont intériorisés. La culture africaine fonctionne avec la nature : détruire la nature, c’est se détruire. Tout ceci explique les catastrophes écologiques dues à la philosophie occidentale qui permet la domination de l’Homme Blanc sur le monde. Alors que la philosophie africaine, elle, est porteuse d’un message de respect, d’harmonie avec la nature. La vie est ce qu’il y a de plus fondamental, d’où la fertilité qui est le plus beau des cadeaux.
La jeunesse africaine est l’avenir de la Nation noire. Il est primordial qu’elle sache d’où elle vient, afin de mieux penser où elle va. Nier l’Afrique, nous place dans une position de fragilité face aux autres peuples. Si nous ignorons nous-mêmes, qui nous sommes, d’autres personnes viendront nous dicter notre conduite, en nous faisant croire que nous sommes incompétents en tout point. Un proverbe africain dit que « tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse ne pourront que chanter la gloire du chasseur ». La philosophie de l’Afrocentricité nous réconcilie avec ce que nous sommes réellement : des Africains.
Bibliographie :
- Marie-Josée Cérol, Une introduction au créole guadeloupéen, éd. Jasor, Pointe-à-Pitre, 1991 ;
- Ama Mazama, Langue et identité en Guadeloupe : une perspective afrocentrique, éd. Jasor, Point-à-Pitre, 1997 ;
- Ama Mazama, L’impératif afrocentrique, éd. Ménaibuc, Paris, 2003 ;
- Ama Mazama, Kwanzaa ou la Célébration du Génie Africain, éd. Ménaibuc, 2006.
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