Un mouvement de jeunes activistes marocains accuse l’Etat de complicité avec les auteurs de viols commis contre les femmes.
Une Marocaine participe à une manifestation pour les droits des femmes à Rabat, 20 février 2012. REUTERS/Youssef Boudlal
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Ce collectif marocain de jeunes activistes qui défend la liberté de conscience, de culte, d’orientation sexuelle et plus généralement l’instauration d’un Etat laïc au Maroc, a posé cette question dans un communiqué rendu public à la date de la célébration de la Journée mondiale de la Femme sous le titre choc «Etat! Tu nous violes».
Le collectif Mali s’était rendu célèbre au Maroc en dénonçant en 2009 l’obligation légale faite à tout marocain de jeûner pendant le mois de ramadan sous peine de prison.
Semi-citoyennes et sous-hommes
«Est-il une journée où les tribunaux du royaume font trêve de jugements iniques, rendus par une magistrature particulièrement patriarcale, envoyant dans les geôles des milliers de femmes pour "prostitution", sous différents prétextes?», s’interroge le collectif qui dénonce la «véritable condition des femmes marocaines: celle de semi-citoyennes, de sous-hommes».
«La femme marocaine est un être inférieur, incapable d’émancipation. Elle est à la disposition des hommes, car elle n’a point de valeur que de leur procurer l’éphémère plaisir de la défloration. A elle de négocier au mieux sa virginité afin d’en faire la monnaie d’un mariage qui lui apportera l’unique statut qu’admette d’elle la société. Scandaleux, non? Inacceptable. Quel tollé soulèverait cette déclaration fictive dans la bouche d’un quelconque acteur ? Pourtant, c’est ce que disent en substance nos textes de loi, sans que quiconque ne s’en offusque outre mesure», peut-on lire dans le communiqué.
Pour le collectif Mali, l’Etat marocain, très conservateur, a imposé un plafond aux revendications des femmes avec la Moudawana, le nouveau code de la famille adopté en 2004 à l’initiative du Palais et qui avait été considéré comme une avancée majeure dans l’émancipation de la femme marocaine, compte tenu du contexte social et religieux du royaume. A l’époque, le Maroc en faisait une promotion accrue à l’international, peaufinant une image de pays modèle dans le monde arabe, rejoignant la Tunisie, alors seule à la pointe sur ces questions.
«Le texte de la Moudawana, bien qu’il ait réparé certaines injustices, est très loin d’être égalitaire», estime le Mali dont l’action s’inscrit aussi dans le mouvement contestataire du 20 Février appelant à une démocratisation réelle du pays.
«Nous nous inscrivons dans la lutte pour la démocratie que mène le peuple contre un régime totalitaire, théocratique, patriarcal, archaïque et corrompu», précise le Mali, souvent pris pour cible par les islamistes radicaux, mais aussi par le Parti de la Justice et du Développement (PJD), actuellement à la tête du gouvernement.
Le Premier ministre Abdelilah Benkirane, ennemi juré des laïcs, des athées, des homosexuels et des féministes, avait été aux avant-postes pour condamner ce mouvement qui réclame la dépénalisation des interdits religieux.
Démocrates mais machistes
Les revendications du collectif Mali ne butent pas uniquement sur l’intransigeance du gouvernement, mais aussi sur le manque d’entrain des forces démocratiques du pays qui considèrent bien souvent que le féminisme «est au mieux une cause secondaire, au pire, une cause désuète».
«L’égalité femme homme est l’essence même de la justice humaine. Aucune démocratie ne peut se construire sans elle. Nous dénonçons les voix machistes au sein du Mouvement démocratique marocain qui relèguent les slogans égalitaires au rang de parent pauvre. Nous leur disons qu’il ne peut y avoir de démocratie que pour les hommes. Il ne peut y avoir de démocratie amputée de ses femmes. Soit notre société décollera toute entière vers des lendemains démocratiques, soit nous resterons tous ensemble dans le sous-développement démocratique dans lequel nous pataugeons encore», met en garde l'association.
Démocratie, émancipation, modernité est le triptyque du mouvement qui affirme qu’un tel dessein ne peut être atteint sans l’instauration d’un Etat civil au Maroc:
«La laïcité des lois et du statut personnel est la condition sine qua none de cette démocratie.»
Selon le Mali, l’Etat marocain délègue volontiers à la religion lorsqu’il s’agit de régir le statut de la femme.
«Les lois religieuses imposées par un Etat qui se fait prévaloir de la réforme de la Moudawana pour véhiculer une image de fausse modernité, constituent un facteur d’oppression et de soumission des femmes», explique le mouvement.
«L’Etat marocain se sert d’articles de loi archaïques, inspirés de la religion, pour se faire le complice de crimes commis tous les jours envers les femmes et leur dignité.»
L’Etat, «complice des violeurs»
L’accusation est grave, mais l’argumentaire du Mali prouve en effet qu’en raison des pesanteurs d’une société machiste, pétrie de religiosité, la justice marocaine «impose l’infamie aux femmes» tous les jours dans les tribunaux.
Exemple édifiant et contradictoire avec le discours officiel qui veut que la femme soit l’égale de l’homme, celui de l’article 475 du Code pénal marocain qui permet au violeur d’une femme mineure d’épouser sa victime pour échapper à sa peine.
«L’appareil judiciaire marocain, ses magistrats, ainsi que le législateur, voient la femme victime de viol comme une "anomalie sociale" qu’il convient de "racheter" par le mariage. La sauvegarde de l’hypocrisie sociale est donc plus importante aux yeux du législateur que le crime en soi», s’insurge le MaIi.
Pis encore, avant même que le crime de viol ne soit établi, et que le juge n’ait à prononcer cette sentence infamante, les femmes victimes de viol doivent passer par un véritable chemin de croix pour être reconnues comme telles.
Le collectif en énumère les étapes: C’est à la victime qu’incombe de prouver le viol, elle se retrouve le plus souvent sur le banc des accusés, que ce soit lors de l’enquête de police, ou —si elle a la chance de pouvoir prouver les faits— au tribunal.
De nombreuses victimes de viol se sont vues invectiver par la police ou les juges: «Que faisais-tu dans la rue à une heure pareille? Que portais-tu? Etais-tu vierge avant?». Il suffit parfois que le violeur dise qu’il a payé la victime pour que l’accusation se retourne contre elle. De nombreuses femmes victimes de viol, n’ayant pu prouver les faits, se retrouvent en prison pour prostitution, car la plainte pour viol est un aveu en soi d’avoir eu une relation sexuelle illicite.
Les violeurs se voient proposer par les juges d’épouser leurs victimes, au lieu de purger leur peine d’emprisonnement de cinq ans maximum.
«Les violeurs préfèrent épouser leurs victimes plutôt que de se retrouver en prison, quitte à divorcer plus tard, après avoir joui "légalement" du corps de leurs victimes, la notion de viol conjugal n’étant pas reconnue au Maroc», précise le Mali.
«Elles vivent avec leur violeur pour échapper à l’opprobre de la société», titrait récemment La Vie Eco qui rapporte le cas de jeunes femmes contraintes de se marier avec leurs agresseurs.
Et enfin, aussi paradoxal que cela puisse paraître, lorsqu’ils purgent leur peine de prison, les violeurs bénéficient souvent de la grâce royale!
«Ces pratiques inhumaines, profondément dégradantes pour la dignité de la femme, dont l’Etat se rend complice tous les jours, doivent cesser. Le Maroc ne pourra prétendre à un statut juste de la femme que lorsqu’il aura entrepris les réformes juridiques à même de mettre fin à de telles violations. Un Etat qui se fait complice des violeurs ne peut non seulement pas prétendre au statut d’Etat de droit, mais devient en outre un instrument d’assujettissement et d’exploitation de ses citoyennes», martèle le Mali.
Depuis l’arrivée des islamistes au gouvernement, la question de l’avortement est revenue aux devants de la scène. Interdit au Maroc, sa légalisation avait été entrevue dans le seul cas où la grossesse serait la conséquence d’un viol…
Ali Amar
Slate Afrique
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