« Une femme violée s’enferme dans son monde. Il faut l’en arracher et l’amener à une nouvelle vie ».
Didier Kamundu Batundi, défenseur des droits de l’homme en RD Congo
Jeudi 8 mars 2012, à la maison des associations du 14° arrondissement
« Je vous demande de respecter une minute de silence pour toutes ces femmes qui ont perdu la vie ». En cette journée internationale de la femme, Didier Kamundu Batundi évoque la situation dans le Kivu, une région d’Afrique centrale, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), qui connait la guerre depuis 19 ans. « Le déclenchement de la guerre interethnique s’est produit le 20 mars 1993″, rappelle-t-il jeudi après-midi lors d’une conférence débat sur le thème « Violences faites aux femmes et droit d’asile » organisée par l’association Forum Réfugiés. Depuis, le conflit a connu de multiples rebondissements, avec de fortes interférences du Rwanda et de l’Ouganda voisins. Les combats et les exactions ont fait des milliers de morts, provoqué le déplacement de centaines de milliers de personnes, et rendu extrêmement vulnérables les femmes, souvent livrées à elles-mêmes avec leurs enfants.
« Entre 2004 et 2006, l’ONU a relevé 43000 cas de viols », rappelle ce quadragénaire, qui promeut les droits de l’homme et la paix depuis 1994, année où il a fondé l’association Solidarité pour la promotion sociale et la paix (Soprop). « En 2008 et 2009, elle a calculé qu’il se produisait 40 viols par jour ». Selon le Haut commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, le Nord-Kivu compte aujourd’hui plus de 600.000 personnes déplacées, dont seulement 79 000 vivent dans des camps. Beaucoup ont connu plusieurs déplacements, ayant dû fuir leur domicile, la brousse, un premier lieu de refuge… Des milices ethniques écument la région, et les forces armées de la RDC se rendent elles aussi coupables de nombreuses exactions. Lorsque les familles sont dispersées, lorsque le mari est mort, des dizaines de milliers de femmes se trouvent dans une grande vulnérabilité.
« Soprop compte aujourd’hui au Nord-Kivu trois centres médicaux d’assistance aux victimes de torture, notamment de viol, un autre à Kinshasa, métropole de 13 millions d’habitants et un autre dans le Bas Congo », explique Didier Kamundu Batundi, qui dû fuir son pays à la fin des années 90 et au début des années 2000 car de fortes menaces pesaient sur sa vie. « Nous avons aussi des centres de médiation et de réinsertion. Nous y pratiquons parfois la sociothérapie, c’est-à-dire un processus collectif de prise en charge de la douleur et de médiation. Dans les cas de viols en masse, qui affectent tout ou partie d’un village, on ne peut suivre chaque femme au cas par cas ».
« Les femmes violées sont souvent exclus et stigmatisés, poursuit le militant des droits de l’homme, qui a été en novembre 1999 l’un des récipiendaires du prix mondial de la paix et de la tolérance décerné sous la houlette de l’ONU. Elles sont isolées et rejetées par la société. Sans compter les blessures physiques qui perdurent, la plupart présentent des symptômes psychologiques profonds : mutisme; nervosité et hyperactivité; phobies sexuelles; panique et peur de tout le monde; angoisse et reviviscence des violences subies; honte et culpabilité; manque d’estime de soi…. Pour sortir de leur enfermement, il faut un énorme effort de leur part et de la part de gens de bonne volonté : sages femmes, assistantes sociales, psychologues, médiatrices… »
Les centres fournissent aussi une assistance juridique mais beaucoup de victimes se refusent à porter plainte. « Elles disent que cela n’aboutira jamais, que la procédure sera comme une nouvelle torture, qu’elle préfère vivre en paix plutôt que de revivre le cauchemar. Souvent, les auteurs des violences sont des militaires gouvernementaux, des représentants de l’État. Pourquoi y a-t-il tant de violences sexuelles en République démocratique du Congo? Certains disent que c’est à cause de toutes les richesses que le pays possède dans son sous-sol et qui aiguise les convoitises. Mais les viols ont commencé dès 1994, avant la guerre rwandaise de 1994, avant le début de l’exploitation minière en 1996. Ce qui entretient cette tragédie, c’est l’impunité, le non-respect des lois en vigueur, la non-application des règles disciplinaires. Quand un soldat est reconnu coupable de viol, si on l’arrête, le lendemain, il est muté et il recommence ailleurs. Beaucoup sont des ivrognes, des analphabètes, qui trainent la nuit jusqu’à 2 heures du matin. Un officier du premier grade est payé entre 30 et 50 dollars par mois. Ils vont chercher l’argent dans la population et lorsqu’ils commettent des extorsions, ils commettent aussi des viols. Il y a une mauvaise prise en charge par l’État des militaires, des policiers, des agents de renseignement ».
Des miliciens se livrent aussi à ces violences. Certains capturent des femmes pour les réduire en esclavage. Parquées dans des carrières, elles deviennent parfois l’objet de luttes entre bandes rivales. Des violences sont aussi commises au sein des Églises dites » de réveil », très vigoureuses dans les grandes villes de RD Congo, et certains leaders s’attachent à pourchasser ou guérir des femmes accusées d’être des sorcières.
Le Nord-Kivu est en même temps une région marquée par une grande vitalité de la société civile. Les ONG locales ont toutefois besoin de relais et d’appuis internationaux. Soprop est notamment soutenu par l’association lyonnaise Cosi, par le Secours populaire et par l’Union européenne.
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