Dakar — Plus de 30 ans après sa mort -le 17 août 1981, Mariama Bâ continue d'être saluée et célébrée comme une écrivaine de légende autant qu'une référence du combat féministe, même si avec le recul, son engagement en faveur de la gente féminine doit être ramené sous l'angle de la promotion de la famille de façon générale, font observer des proches de l'auteur de "Une si longue lettre".
À travers cet engagement jugé féministe, Mariama Bâ souhaitait surtout que la femme gardât sa place au sein de son foyer tout en cherchant à se rendre utile à la société, contrairement à certaines idées reçues. Née le 17 avril 1929, elle aurait eu 83 ans ce mardi. Selon des proches de l'écrivaine, elle n'a jamais rencontré de réels problèmes pour mener de front sa vie de mère et son combat pour la promotion des droits des femmes. Elle a eu neuf enfants (sept filles et deux garçons).
Il reste que la Sénégalaise est présentée comme la première romancière africaine à décrire la place faite aux femmes africaines dans la société. Mariama Bâ s'était engagée pour de nombreuses associations féminines, en propageant l'éducation et les droits des femmes. À cette fin, elle prononçait des discours et publiait des articles dans la presse locale. Ses oeuvres reflétaient les conditions sociales de son entourage immédiat et de l'Afrique en général, ainsi que les problèmes qui en résultent : la polygamie, les castes, l'exploitation des femmes, le manque de capacités à s'adapter au nouveau milieu culturel face à des mariages interraciaux.
"Malgré l'étiquette de féministe qu'on lui collait, elle tenait beaucoup à sa vie de femme au foyer. Si elle pensait un seul instant que sa vie associative pouvait mettre en péril son foyer, l'éducation de ses enfants, elle aurait tout stoppé net", témoigne sa fille Aminata Diop.
"Pour elle, se battre pour les droits des femmes n'était pas un combat contre l'homme, mais avec l'homme dans un esprit de complémentarité. C'était une femme de consensus, de compromis, elle était aussi bien à l'aise dans son rôle de femme, de mère que de femme active/moderne", ajoute Mme Diop.
"Ses amies se demandaient comment elle pouvait allier de manière si intelligente la tradition et la modernité. La vie de ma mère traduisait bien le concept de Senghor : +enracinement et ouverture+, dit-elle dans sa vie de tous les jours", dit-elle. "Ma mère est entrée dans le féminisme parce que ses enfants étaient devenus grands et je pense qu'elle avait beaucoup plus de temps à accorder à sa vie associative vu que mon père (Boubacar Obèye Diop, journaliste et ancien ministre de l'Information) était vraiment impliqué dans la vie politique", explique pour sa part Maguette Diop, une des autres filles de l'écrivaine.
"Dans ces moments de liberté, elle a senti le besoin de se rapprocher des femmes intellectuelles (feue Abibatou Niang, feue Aminata Maiga Ka, Abibatou Guèye...)", note-t-elle, ajoutant : "Avant d'intégrer ce cercle (femmes intellectuelles), elle a commencé par organiser des tontines de quartier avec des amies comme Yacine Ndiaye." Mariama Bâ a véritablement balisé la voie des lettres pour de figures majeures de la scène littéraire sénégalaise actuelle, à travers des oeuvres de référence qui ont contribué, comme jamais peut-être, à la renommée de la culture et des valeurs de société sénégalaises.
Pourtant, Mariama Bâ n'a pourtant publié que deux textes. Il y eut d'abord l'inévitable "Une si longue lettre", son premier roman publié en 1979. Un ouvrage qui a connu un très grand succès, aussi bien au Sénégal qu'à l'échelle internationale. Traduit en plusieurs langues, il obtient le prix Noma, en novembre 1980, à Francfort. "Chant écarlate" a ensuite suivi, annonçant une carrière littéraire prometteuse qui prit prématurément fin, puisque cette oeuvre a été publiée à titre posthume, peu après la disparition de son auteur, le 17 août 1981.
"Le ronron de ma vie d'institutrice, d'épouse et de mère, mes neufs enfants qui ont grandi et le temps qui se libérait, m'incitèrent à étendre ma lutte au-delà du cercle privé des tontines", a-t-elle soutenu à son entourage, au moment de s'engager réellement dans une action militante, vers la fin des années 60. Ainsi, Mariama Bâ devint membre de la Fédération des associations féminines du Sénégal (FAFS), créée sous l'impulsion du président Senghor en 1977 au Cap des Biches, secrétaire générale du Club Soroptimiste International de 1979 à 1981.
Membre de l'Amicale Germaine Legoff, regroupant toutes les anciennes normaliennes, elle fut aussi membre du Club de Dakar et du Cercle Fémina, une association de solidarité. Mariama Bâ pensait fermement que la femme est animée d'un idéal politique, mais estimait que les partis politiques ne présentaient pas un cadre idéal d'expression pour la gente féminine. Au contraire des associations, véritables plateformes de libre expression.
"Il y a des difficultés réelles pour la femme dans le militantisme politique. Si la femme est animée d'un idéal politique, si elle ne veut pas seulement être un support, un objet qui applaudit, si elle a en elle un message politique, il lui est difficile de s'insérer dans un parti politique. Les hommes sont souvent égoïstes", constate-t-elle, par exemple, dans une interview parure dans l'édition de novembre 1979 du magazine Amina.
Pour Mariama Bâ, "le travail de la femme corse davantage la difficulté du militantisme politique. Au niveau des partis, les organisations féminines connaissent des tiraillements inconnus des organisations masculines du fait du tempérament de la femme". "La femme a l'émotion facile et la langue bien pendue. Quand elle rencontre une rivale sur son chemin, elle se met sans hésitation à fouiller dans son passé, pour ressusciter la grand-mère sorcière ou un fait sordide du grand-père", insiste l'écrivaine dans cette interview.
"Au lieu de placer la lutte sur le plan idéologique, elle instaure la lutte sur le plan personnel. Toutes ces difficultés font hésiter bien des femmes à entrer dans l'arène politique. Dans le militantisme politique, l'octroi de postes comme les portefeuilles ministériels, les sièges de députés doublent les rivalités", poursuit Mariama Bâ.
Au contraire, souligne-t-elle, "quand on a envie de travailler sainement, qu'on ne recherche pas à être connue, les associations féminines offrent des cadres d'évolution aux angles plus arrondis".
"Il y a des manoeuvres plus aisées sans hargne, sans rogne, sans grogne. Les associations féminines donnent les mêmes moyens d'épanouissement que les partis politiques. La promotion de la femme et de l'enfant sont souvent le mobile de leurs actions, même des femmes politiciennes."
source: APS
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