Bien sûr, cette sortie-là n’aura pas le même écho que les glapissements du Marsupilami d’Alain Chabat. Mais « L’Affaire Chebeya, Un crime d’Etat ? », sur les écrans à compter de ce mercredi, mérite le détour. Parce que le film du documentariste belge Thierry Michel rend justice à un Congolais qui a payé de sa vie son inlassable combat pour la dignité humaine. Parce qu’il le fait avec sobriété et sans manichéisme. Le point d’interrogation du titre n’est pas qu’un artifice.
Flash-back. Le 2 juin 2010, on retrouve dans la banlieue de Kinshasa le cadavre de Floribert Chebeya, affalé à l’arrière de sa berline. A l’évidence, les tueurs ont tenté, au prix d’une mise en scène hâtive et grotesque, de maquiller en crime sexuel le meurtre du directeur exécutif de La Voix des Sans-Voix, cette ONG dont l’intransigeance aura exaspéré tour à tour le Maréchal-Président Mobutu Sese Seko, puis les Kabila père et fils. La dépouille de Fidèle Bazana, chauffeur, beau-frère et compagnon de lutte de Floribert, n’a quant à elle pas refait surface à ce jour.
Thierry Michel, qui explore depuis deux décennies les splendeurs, les tumeurs et les plaies à vif de l’ex-Zaïre, fonce aussitôt à « Kin’ ». Pour couvrir les obsèques, puis, au gré de sept séjours, l’enquête et le procès des assassins présumés, tous policiers. La première sera bâclée, sélective, manipulée. Le second « exemplaire ». « Une leçon de démocratie », soutient le cinéaste.
De fait, celui-ci a pu filmer « sans entrave » les travaux du tribunal militaire. Les magistrats iront d’ailleurs jusqu’à aménager le planning des audiences en fonction des contraintes de ce témoin aguerri. Comme s’ils voulaient, en laissant cette trace, désamorcer les suspicions de justice aux ordres. Le Wallon, en retour, déjoue les pièges du simplisme. Il filme l’ambigüité, les quasi-vérités, les demi-mensonges, les non-dits, les regards fuyants et les sourires esquissés. Il sera question à la barre de faux témoignages, de preuves escamotées, des pages de listings téléphoniques portées disparues. Ce procès apparaît donc moins comme une mascarade que comme un théâtre d’ombres. Dont celles, écrasante, du général John Numbi, patron de la police congolaise. Car c’est au retour d’un rendez-vous avec cet officier tout-puissant que Chebaya disparaît. Or, l’intéressé ne sera entendu qu’au titre de « renseignant », en clair de témoin. Lui le plus haut gradé du pays ne peut être jugé par des magistrats de rang hiérarchique inférieur… Bref, il reste hors d’atteinte.
Le casting de la « pièce » qui se joue sous l’œil de Michel -« une tragi-comédie », dit-il- desserre à l’usure l’étau du mensonge d’Etat. Il y a sur scène le Camerounais Gomer Martel, ce témoin-clé qui, menacé, ne quittera sa planque que pour fuir le pays, les avocats, les activistes de la société civile, les médias. Et bien entendu les membres du commando, à commencer par le colonel Daniel Mukalay, bras droit de Numbi.
Le 23 juin 2011, le verdict tombe : quatre peines de mort et la perpétuité pour un cinquième comparse. Mais voilà : trois des condamnés le sont par contumace ; ils ont été exfiltrés vers l’étranger peu après les faits, et le jugement épargne Numbi-le-boss. Les familles de Floribert et de Fidèle feront donc appel. Pour Annie, réfugiée à Toronto (Canada) et Marie-Josée, accueillie à Melun, l’exténuant combat continue. Les deux veuves-courage ont d’ailleurs pris part à plusieurs projections-débats de ce film, couronné en mars par le Grand Prix du Festival international du film des Droits de l’Homme de Paris, mais qu’aucune chaîne française n’envisage de diffuser pour l’heure. Séances souvent orageuses. A Genève, Bruxelles, Anvers, Thierry Michel a ainsi été pris à partie, voire agressé. Tantôt par les partisans du clan de Joseph Kabila ; tantôt par ceux de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, qui le sommaient de rallier leur cause. Raté. Celui à qui l’on doit « Mobutu, roi du Zaïre », « Congo River » ou « Katanga business » a un grand mérite : il est irrécupérable.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire