jeudi 15 novembre 2012

Hapsatou Sy, une Oprah Winfrey en devenir


Chef d'entreprise énergique, la Franco-Sénégalaise Hapsatou Sy est à la tête d'une vingtaine de salons de beauté et pourrait devenir une vraie star du petit écran. Rencontre.


Hapsatou Sy © Ludovic Taillandier
l'auteur

Hapsatou Sy est une self-made-woman pugnace, au mental d'acier, qui sait ce qu'elle veut et où elle va. C’est du moins les seuls traits de caractère que la jeune femme noire de 31 ans veut laisser transparaître.
La silhouette fine et élancée, ce chef d’entreprise au maquillage soigné, a plutôt l’air d’un top model. Cascade de cheveux longs noirs et bouclés, veste en cuir et pantalon noirs superbement coupés, la jeune femme, perchée sur des talons vertigineux, reçoit dans l'un de ses salons de beauté situé sur la rue du Faubourg-Saint-Honoré, dans le VIIIe arrondissement de Paris.
C'est un énorme espace classieux —piano droit dans un coin, bibliothèque dans un autre— où les employés chuchotent, forcent le sourire et se tiennent à carreau, surtout quand la maîtresse des lieux fait son apparition.
Son allure, souveraine, et sa démarche un brin chaloupée, s'accordent avec le décor au design épuré. Sa poigne semble instaurer, d’emblée, le début d'un duel dont vous sortirez vaincu.
Mais, la jeune femme, comme pour ne pas s'appesantir sur ce côté autoritaire vite perceptible, sourit et se lance, sans ciller, dans le récit de son parcours et de ses ambitions.
«Je suis une femme active et épanouie, chef d'entreprise dans le domaine de la beauté depuis sept ans, une impatiente finie, habitée par de nombreux grains de folie, se décrit-elle, avec un léger sourire. Je me considère comme Française, Sénégalaise et Mauritanienne, insiste-t-elle de sa voix un brin éraillée. Je n'aime pas dire "je suis originaire de..."»
Hapsatou Sy a grandi à Chaville (dans la banlieue ouest de Paris) dans une famille de huit enfants.
«J’ai énormément de respect pour mes parents qui m’ont donné la chance de grandir en France et d’avoir accès à l’école publique. Tout ce que j'ai entrepris, je le dois à leur parcours. C'est aussi pour cela que j’ai la rage de réussir. Je n'ai pas encore atteint tous mes objectifs.»
Elle n'en dit pas plus sur ses proches, préférant s'épancher sur le terrain du business.
Salon de beauté de Hapsatou Sy, à Paris © D.R.
Après l'obtention d'un BTS de commerce international en alternance, elle suit un stage à New York, qui s'avère être le déclic de son aventure entrepreneuriale.
En juillet 2005, âgée de 24 ans, elle ouvre son premier espace de beauté, alors dénommé Ethnicia, sur l'île Saint-Louis, en plein cœur de Paris. Suit l'ouverture d'autres salons, à travers la France et en Suisse, qu'elle décide, en 2012, de rebaptiser de son propre nom.
Une façon, pour elle, de personnaliser son concept: une invitation dans son univers, adressé aux femmes, quels que soient leur couleur de peau et leur type de cheveux.
«Le terme "Ethnicia" réduisait mon idée de valeur de partage et d'ouverture d'esprit. Quand les grandes marques ont réalisé qu'elles pourraient bénéficier du marché de la beauté à destination des femmes noires et métissées, elles ont décrété que le terme "ethnique" voulait dire noire et métissée. Je ne voulais pas être assimilée à un discours communautariste

«La femme est libre d'être belle comme elle l'entend»

Les polémiques autour de la beauté noire lui passent d'ailleurs au-dessus de la tête.
«Je pense qu'une femme est libre d'être belle comme elle l'entend. Aller dire qu'une femme qui porte des extensions ou du tissage est une femme qui rejette sa négritude ou le fait de venir d'Afrique, est une hallucination. On n'a pas besoin d'être naturelle pour aimer l'Afrique et reconnaître qu'on est une femme noire», assène-t-elle.
Quant au phénomène de la dépigmentation, elle maintient qu'il ne concerne qu'une infime minorité de femmes, en France comme en Afrique.
«Il faut dissocier les femmes qui tentent de s'éclaircir la peau et celles qui ont des problèmes de tâches et de non uniformité du teint. Elles sont mal conseillées et prennent ce qui leur tombe sous la main.»
Le parcours d'Hapsatou Sy a été ponctué de nombreux succès, outre l'ascension fulgurante de son entreprise.

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En 2007, elle remporte le deuxième prix de l'innovation commerciale (concours ouvert aux jeunes entrepreneurs), en 2010, elle est nommée au Rising Talents du Women's Forum de Deauville. Puis, en 2011, elle est choisie pour représenter l'entreprenariat français au G20 Young Entrepreneur Summit, avant de remporter le prix Trofémina dans la catégorie Business, la même année.
De quoi surfer sur une confiance en soi sans bornes. Elle a toutefois essuyé quelques revers comme la fermeture prématurée de l'un de ses espaces, avenue de l'Opéra, à Paris. Mais elle incarne aujourd'hui une entreprise qui emploie environ 200 salariés et qui en 2011, a enregistré un chiffre d'affaires de 6,7 millions d'euros.
L'Afrique tient une grande place dans ce parcours professionnel.
«C'est la terre de mes ancêtres, la terre de mes parents. Quand je suis allée au Sénégal et en Mauritanie pour la première fois, en 1999, j’ai eu l’impression de rentrer plutôt que de venir découvrir. J’ai grandi en parlant le peul, en mangeant à la main et en portant le pagne à la maison. La culture de mes parents ne m'était pas inconnue.»
Elle parraine, par ailleurs, depuis sept ans, une école à Dakar au Sénégal, dans la commune de Keur Massar, dont les classes vont du CP à la troisième. Fournitures scolaires, financement de travaux, des événements de fin d'année, règlement des factures d'électricité…
«A partir du moment où c'est de l'aide utile, je me montre disponible. L'idée n'est pas d'apporter de l'assistanat. Je ne suis pour l'assistanat que lorsqu'il est indispensable», prévient-elle.

«Il faut donner un coup de pouce à l'Afrique»

En France, elle mène  également des activités philanthropiques en parrainant des «associations pour l'Afrique» comme Giving Back. Cette dernière, créée à l'initiative de basketteurs professionnels, réunit des artistes de tout bord qui mettent en place des actions socioéducatives et humanitaires à destination de pays d'Afrique.
«C’est un plaisir et une façon de dire que je n’oublie pas d’où je viens. L'Afrique, c'est l'avenir. C'est maintenant qu'il faut donner un coup de pouce à ce continent en phase de démarrage», martèle celle qui considère la femme africaine comme la première entrepreneuse du continent, la clé de son avenir.
Est-ce la raison pour laquelle elle a décidé d'ouvrir une franchise à Luanda, en Angola?
«Il s'agit plutôt d'une opportunité. J'y ai rencontré un homme extraordinaire qui a le sens de l'entrepreneuriat, qui a beaucoup de choses à m'apprendre, et qui avait envie de représenter ma marque. Je savais qu'il le ferait dignement donc j'ai foncé.»
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Elle n'exclut pas l'idée d'une autre franchise en Afrique de l'Ouest, d'autant plus qu'elle reçoit des sollicitations du Sénégal, du Bénin, du Nigeria ou encore du Maroc.
«Il faudrait que ça commence par une belle rencontre, car je fonctionne beaucoup au coup de cœur.»
«Hapsatou est une femme simple mais forte et très motivée. Elle est avide de connexions, généreuse, et ne demande jamais rien en retour, confie son ami Alexis Peskine, artiste plasticien et photographe. Son parcours est bluffant et je la respecte beaucoup pour cela. Après, quand une femme noire réussit de la sorte, il y en a beaucoup pour critiquer. Et c'est dommage.»

Une future Oprah Winfrey?

De son expérience télé, Hapsatou Sy ne dit pas grand-chose. Passée par la chaîne française M6, dans le jury de l'émission "L'inventeur 2012", en mai dernier, elle est maintenant co-présentatrice de l'émission"Le Grand 8" sur D8, nouvelle chaîne du groupe Canal+, aux côtés des journalistes Laurence Ferrari et Audrey Pulvar, notamment.
«Comme je ne suis ni issue du milieu télévisuel ni du journalisme, je pense apporter de la fraîcheur, de la spontanéité et un point de vue sociétal particulier, car je suis confrontée à la réalité de la création d'entreprise.»
Elle met en avant son franc-parler, idéal pour parler des sujets qui lui tiennent à cœur comme, bien sûr, l'entrepreneuriat, l'éducation ou la position de la femme dans la société.
Selon elle, si la visibilité des femmes noires à la télévision française est encore insuffisante, les choses commencent à changer. Mais ne lui parlez pas de diversité, car Hapsatou Sy se considère comme femme avant d'être noire.
«Le principe de se montrer du doigt pour dire que je suis différente pour ensuite aller râler parce qu'on est montré du doigt par les autres, me gêne. Etre noire ce n'est pas être handicapée. Je suis plus intéressée par l'essor de la jeunesse plutôt que la question de la diversité. Un terme qui ne veut d'ailleurs rien dire», assène la jeune femme.
Portrait de Hapsatou Sy © Ludovic Taillandier
«Qu'elle ne veuille pas incarner la réussite de la diversité ipso facto est stratégiquement intelligent. Nul besoin d'être grand clerc pour deviner que son modèle se rapproche plus d'Oprah Winfrey que d'Angela Davis. Elle comprend, je crois, très bien l'impact de son image dans les médias sur les représentations», analyse Julien Cros, consultant en stratégie et communication pour l'agence PILBS.
«Si d'aventure elle devait se positionner en tant que femme noire, elle pourrait le faire mais beaucoup plus tard. C'est au moins ça la force du "business". Etre identifié comme une success story laisse plus de liberté, à terme, pour parler de ses origines.»
Hapsatou Sy semble ne pas vouloir laisser transparaître la moindre faiblesse. Si elle enchaîne les interviews et s'affiche de plus en plus dans les médias, elle délivre à chaque occasion un discours bien rôdé: du respect pour ses parents à ses multiples projets en passant par son image de femme noire, experte de toutes les beautés, libérée et qui s'assume.
Et si la jeune femme séduit, elle n'en perturbe pas moins. Ses gestes fermes et son pas décidé cache à peine un petit côté «dominateur». Pour preuve, elle s'attelle elle-même à mettre fin à l'échange.
Une rapide poignée de main et elle court déjà vers d'autres sollicitations du haut de ses talons, qui eux, claquent bien plus fort que ceux de ses employées au visage crispé. Ils la porteront encore plus loin…
Katia Touré 

Lu sur Slate Afrique

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