Hapsatou Sy est
une self-made-woman pugnace, au mental d'acier, qui sait ce qu'elle veut et où
elle va. C’est du moins les seuls traits de caractère que la jeune femme noire
de 31 ans veut laisser transparaître.
La silhouette
fine et élancée, ce chef d’entreprise au maquillage soigné, a plutôt l’air d’un
top model. Cascade de cheveux longs noirs et bouclés, veste en cuir et pantalon
noirs superbement coupés, la jeune femme, perchée
sur des talons vertigineux, reçoit dans l'un de ses salons de beauté situé sur la rue
du Faubourg-Saint-Honoré, dans le VIIIe arrondissement de Paris.
C'est un énorme
espace classieux —piano droit dans un coin, bibliothèque dans un autre— où les
employés chuchotent, forcent le sourire et se tiennent à carreau, surtout quand
la maîtresse des lieux fait son apparition.
Son allure, souveraine, et sa démarche un brin
chaloupée, s'accordent avec le décor au design épuré. Sa poigne semble
instaurer, d’emblée, le début d'un duel dont vous sortirez vaincu.
Mais, la jeune
femme, comme pour ne pas s'appesantir sur ce côté autoritaire vite perceptible,
sourit et se lance, sans ciller, dans le récit de son parcours et de ses
ambitions.
«Je suis une
femme active et épanouie, chef d'entreprise dans le domaine de la beauté depuis
sept ans, une impatiente finie, habitée par de nombreux grains de folie, se
décrit-elle, avec un léger sourire. Je me considère comme Française,
Sénégalaise et Mauritanienne, insiste-t-elle de sa voix un brin éraillée. Je
n'aime pas dire "je suis originaire de..."»
Hapsatou Sy a
grandi à Chaville (dans la banlieue ouest de Paris) dans une famille de huit
enfants.
«J’ai
énormément de respect pour mes parents qui m’ont donné la chance de grandir en
France et d’avoir accès à l’école publique. Tout ce que j'ai entrepris, je le
dois à leur parcours. C'est aussi pour cela que j’ai la rage de réussir. Je
n'ai pas encore atteint tous mes objectifs.»
Elle n'en dit
pas plus sur ses proches, préférant s'épancher sur le terrain du business.
Salon de beauté de Hapsatou Sy, à Paris © D.R.
Après
l'obtention d'un BTS de commerce international en alternance, elle suit un
stage à New York, qui s'avère être le déclic de son aventure entrepreneuriale.
En juillet
2005, âgée de 24 ans, elle ouvre son premier espace de beauté, alors dénommé
Ethnicia, sur l'île Saint-Louis, en plein cœur de Paris. Suit l'ouverture
d'autres salons, à travers la France et en Suisse, qu'elle décide, en 2012, de
rebaptiser de son propre nom.
Une façon, pour
elle, de personnaliser son concept: une invitation dans son univers, adressé
aux femmes, quels que soient leur couleur de peau et leur type de
cheveux.
«Le terme
"Ethnicia" réduisait mon idée de valeur de partage et d'ouverture
d'esprit. Quand les grandes marques ont réalisé qu'elles pourraient bénéficier
du marché de la beauté à destination des femmes noires et métissées, elles ont
décrété que le terme "ethnique" voulait dire noire et métissée. Je ne
voulais pas être assimilée à un discours communautariste.»
«La femme est libre
d'être belle comme elle l'entend»
Les polémiques
autour de la beauté noire lui passent d'ailleurs au-dessus de la tête.
«Je pense
qu'une femme est libre d'être belle comme elle l'entend. Aller dire qu'une
femme qui porte des extensions ou du tissage est une femme qui rejette sa
négritude ou le fait de venir d'Afrique, est une hallucination. On n'a pas
besoin d'être naturelle pour aimer l'Afrique et reconnaître qu'on est une femme
noire»,
assène-t-elle.
Quant au
phénomène de la
dépigmentation, elle maintient qu'il ne concerne qu'une infime
minorité de femmes, en France comme en Afrique.
«Il faut
dissocier les femmes qui tentent de s'éclaircir la peau et celles qui ont des
problèmes de tâches et de non uniformité du teint. Elles sont mal conseillées
et prennent ce qui leur tombe sous la main.»
Le parcours
d'Hapsatou Sy a été ponctué de nombreux succès, outre l'ascension fulgurante de
son entreprise.
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En 2007, elle
remporte le deuxième prix de l'innovation commerciale (concours ouvert aux
jeunes entrepreneurs), en 2010, elle est nommée au Rising Talents du Women's
Forum de Deauville. Puis, en 2011, elle est choisie pour représenter
l'entreprenariat français au G20 Young Entrepreneur Summit, avant de remporter
le prix Trofémina dans la catégorie Business, la même année.
De quoi surfer
sur une confiance en soi sans bornes. Elle a toutefois essuyé quelques revers
comme la fermeture prématurée de l'un de ses espaces, avenue de l'Opéra, à
Paris. Mais elle incarne aujourd'hui une entreprise qui emploie environ 200
salariés et qui en 2011, a enregistré un chiffre d'affaires de 6,7 millions
d'euros.
L'Afrique tient
une grande place dans ce parcours professionnel.
«C'est la terre
de mes ancêtres, la terre de mes parents. Quand je suis allée au Sénégal et en
Mauritanie pour la première fois, en 1999, j’ai eu l’impression de rentrer plutôt
que de venir découvrir. J’ai grandi en parlant le peul, en mangeant à la main
et en portant le pagne à la maison. La culture de mes parents ne m'était pas
inconnue.»
Elle parraine,
par ailleurs, depuis sept ans, une école à Dakar au
Sénégal, dans la commune de
Keur Massar, dont les classes vont du CP à la troisième. Fournitures scolaires,
financement de travaux, des événements de fin d'année, règlement des factures
d'électricité…
«A partir du
moment où c'est de l'aide utile, je me montre disponible. L'idée n'est pas
d'apporter de l'assistanat. Je ne suis pour l'assistanat que lorsqu'il est
indispensable», prévient-elle.
«Il faut donner un
coup de pouce à l'Afrique»
En France, elle
mène également des activités philanthropiques en parrainant des
«associations
pour l'Afrique» comme Giving Back. Cette dernière, créée à l'initiative de
basketteurs professionnels, réunit des artistes de tout bord qui mettent en
place des actions socioéducatives et humanitaires à destination de pays
d'Afrique.
«C’est un
plaisir et une façon de dire que je n’oublie pas d’où je viens. L'Afrique,
c'est l'avenir. C'est maintenant qu'il faut donner un coup de pouce à ce
continent en phase de démarrage», martèle celle qui considère la femme
africaine comme la première entrepreneuse du continent, la clé de son avenir.
Est-ce la
raison pour laquelle elle a décidé d'ouvrir une franchise à Luanda, en
Angola?
«Il s'agit
plutôt d'une opportunité. J'y ai rencontré un homme extraordinaire qui a le
sens de l'entrepreneuriat, qui a beaucoup de choses à m'apprendre, et qui avait
envie de représenter ma marque. Je savais qu'il le ferait dignement donc j'ai
foncé.»
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Elle n'exclut
pas l'idée d'une autre franchise en Afrique de l'Ouest, d'autant plus qu'elle
reçoit des sollicitations du Sénégal, du Bénin, du Nigeria ou encore du Maroc.
«Il faudrait
que ça commence par une belle rencontre, car je fonctionne beaucoup au coup de
cœur.»
«Hapsatou est
une femme simple mais forte et très motivée. Elle est avide de connexions,
généreuse, et ne demande jamais rien en retour, confie son ami
Alexis Peskine, artiste plasticien et photographe. Son parcours est bluffant
et je la respecte beaucoup pour cela. Après, quand une femme noire réussit de
la sorte, il y en a beaucoup pour critiquer. Et c'est dommage.»
Une future Oprah
Winfrey?
De son
expérience télé, Hapsatou Sy ne dit pas grand-chose. Passée par la chaîne française
M6, dans le jury de l'émission "L'inventeur 2012", en mai dernier,
elle est maintenant co-présentatrice de l'émission"Le Grand 8" sur
D8, nouvelle chaîne du groupe Canal+, aux côtés des journalistes Laurence
Ferrari et Audrey Pulvar, notamment.
«Comme je ne
suis ni issue du milieu télévisuel ni du journalisme, je pense apporter de la
fraîcheur, de la spontanéité et un point de vue sociétal particulier, car je
suis confrontée à la réalité de la création d'entreprise.»
Elle met en
avant son franc-parler, idéal pour parler des sujets qui lui tiennent à cœur
comme, bien sûr, l'entrepreneuriat, l'éducation ou la position de la femme dans
la société.
Selon elle, si
la visibilité des femmes noires à la télévision française est encore
insuffisante, les choses commencent à changer. Mais ne lui parlez pas de
diversité, car Hapsatou Sy se considère comme femme avant d'être noire
.
«Le principe de
se montrer du doigt pour dire que je suis différente pour ensuite aller râler
parce qu'on est montré du doigt par les autres, me gêne. Etre noire ce n'est
pas être handicapée. Je suis plus intéressée par l'essor de la jeunesse plutôt
que la question de la diversité. Un terme qui ne veut d'ailleurs rien dire», assène la
jeune femme.
Portrait de Hapsatou Sy © Ludovic Taillandier
«Qu'elle ne
veuille pas incarner la réussite de la diversité ipso facto est stratégiquement
intelligent. Nul besoin d'être grand clerc pour deviner que son modèle se
rapproche plus d'Oprah Winfrey que d'Angela Davis. Elle comprend, je crois,
très bien l'impact de son image dans les médias sur les représentations», analyse Julien
Cros, consultant en stratégie et communication pour l'agence PILBS.
«Si d'aventure
elle devait se positionner en tant que femme noire, elle pourrait le faire mais
beaucoup plus tard. C'est au moins ça la force du "business". Etre
identifié comme une success story laisse plus de liberté, à terme, pour parler
de ses origines.»
Hapsatou Sy
semble ne pas vouloir laisser transparaître la moindre faiblesse. Si elle
enchaîne les interviews et s'affiche de plus en plus dans les médias, elle
délivre à chaque occasion un discours bien rôdé: du respect pour ses parents à
ses multiples projets en passant par son image de femme noire, experte de
toutes les beautés, libérée et qui s'assume.
Et si la jeune
femme séduit, elle n'en perturbe pas moins. Ses gestes fermes et son pas décidé
cache à peine un petit côté «dominateur». Pour preuve, elle s'attelle elle-même à
mettre fin à l'échange.
Une rapide poignée de main et
elle court déjà vers d'autres
sollicitations du haut de ses talons, qui eux, claquent bien plus fort que ceux
de ses employées au visage crispé. Ils la porteront encore plus loin…
Katia Touré
Lu sur Slate Afrique